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Charleroy continua d’être abondamment pourvu. L’encombrement y était grand; on en fit partir les prisonniers, dirigés sur l’intérieur. Force remèdes et chirurgiens y furent expédiés de Paris pour hâter la guérison des blessés. Cette place restait encore la principale base d’opérations de l’armée ; car M. le Prince pouvait être appelé à prendre une direction nouvelle, à manœuvrer du côté de la Meuse, et c’est une des raisons qui le retinrent quelques jours à son camp du Piéton. Un gros nuage se formait à l’est. L’électeur de Brandebourg, le duc de Brunswick, avaient mis de nouvelles armées sur pied, et les coalisés s’évertuaient à faire miroiter ces troupes pour en menacer tantôt Turenne et tantôt M. le Prince[1]. Cependant, malgré la pluie de pamphlets et d’estampes dont l’Europe était inondée, la vérité se faisait jour. Bientôt on cesse de croire en Allemagne à la grande Victoire des alliés. « Les affaires vont changer de face. L’électeur de Brandebourg ralentit la marche de ses troupes. Si elles arrivent en Flandre, ce qui est douteux, ce ne sera pas avant la fin de la campagne. La cavalerie de Saxe se retire du Palatinat, où le secours du duc de Brunswick fera peu d’effet[2]. »

M. le Prince n’eut donc pas à se préoccuper longtemps des armées nouvelles, qui, par le Rhin et la Meuse, devaient lui tomber sur les bras. Celle qu’il avait combattue et qui se reformait près de Mons suffisait à fixer son attention. Les généraux qui la commandaient s’appliquaient à soutenir leur rôle de victorieux et à relever la confiance qu’au fond du cœur eux-mêmes ne partageaient plus. Dès le 16 août, ils commencent à remuer et s’avancent de quelques lieues jusque vers Quiévrain. Là, ils se couvrent de retranchemens, construisent des ponts, rassemblent force pionniers, faisant grand bruit des renforts qu’ils reçoivent et cherchant à donner jalousie de tous côtés. Très vigilant, observateur judicieux et plein d’expérience, Broglie les surveillait de sa place d’Avesnes, et jugea de suite qu’ils songeaient moins à préparer un dessein qu’à se donner de l’espace et à faciliter leur subsistance[3]. Condé ne se méprit pas davantage sur ce premier mouvement; sans s’endormir, il prit tout son temps. Rassuré du côté de l’est, dès qu’il eut à peu près reconstitué ses forces, il gagne la Sambre, la remonte, et va prendre position à La Buissière[4], (23 août), se rapprochant des routes que pourraient prendre les

  1. M. le Prince à Turenne (21 août. A. C), qui manœuvrait alors dans la vallée du Rhin et dans les Vosges; sa plus belle campagne.
  2. Le duc de Vitry à M. le Prince; Munich, 29 août 1674. A. C.
  3. Broglie à M. le Prince; Avesnes, 18 août 1674. A. C.
  4. 4 lieues sud-ouest de Charleroy.