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En 1889, le capitaine van Gèle, revenu dans le Haut Oubangui accompagné cette fois de l’inspecteur d’Etat M. Georges Le Marinel, entra en relation avec Bangasso, chef du peuple des Sakaras. Depuis son avènement, qui date de quatorze ans, Bangasso a réussi à reprendre une autorité complète sur les grands chefs Sakaras qui, du temps de son père Bali, de caractère un peu faible, étaient devenus presque indépendans. Pendant la montée du Mbomou, les voyageurs belges eurent l’occasion d’apprécier eux-mêmes sa puissance. « Le nom de Bangasso était un talisman qui mettait littéralement les indigènes à nos pieds. » Le jour de leur arrivée dans sa demeure royale, deux mille guerriers, armés de boucliers et de trombaches, étaient rangés le long des quatre faces de la place. Au centre, trente soldats, armés de fusils, tiraient des salves. Enfin, si le pouvoir d’un homme est en rapport direct avec les marques extérieures de respect dont il est l’objet, peu de princes égalent Bangasso. Dès qu’il boit, ou éternue, tous les assistans applaudissent et la musique royale exécute ses airs les plus suaves. Sa cour, il est vrai, n’a rien d’austère. Ses filles ne se marient pas, aucun prince des tribus voisines n’étant digne d’aspirer à leur main. Mais le célibat ne leur pèse pas. Le roi leur laisse sur le chapitre des mœurs une complète indépendance, dont elles profitent. M. Le Marinel avance que la présence de ces jeunes personnes a singulièrement facilité au roi le recrutement d’une garde composée de volontaires où figure l’élite des jeunes nobles Sakaras[1]. Mais il justifie sa puissance par le zèle qu’il apporte à remplir son office. Tous les matins, à neuf heures, il sort de son harem, il s’assied sous une véranda et donne audience publique.

Van Gèle et Le Marinel d’une part, Bangasso de l’autre s’entendirent bien vite. Des objets européens étaient jadis parvenus dans le pays par l’intermédiaire des Sandeh qui, eux-mêmes les tenaient des marchands de Khartoum. Le soulèvement mahdiste avait interrompu ces relations commerciales. Bangasso était bien 6dse d’entrer en rapport avec les blancs qui fabriquent ces objets. Pour marquer ses dispositions conciliantes, il fit des cadeaux aux voyageurs belges. Il leur donna deux jeunes éléphans, un chimpanzé et un fourmilier. Malgré leur bizarrerie, ces présens n’en témoignaient pas moins de ses bonnes intentions. MM. van Gèle et Le Marinel obtinrent des avantages plus sérieux. Le soir même de leur arrivée, Bangasso vint conférer avec eux.

  1. G. Le Marinel, Sur le Haut Oubangui. Bulletin de la Société royale de géographie de Belgique, 1893.