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savait à quel grand système fluvial africain le rattacher. Le point le plus occidental où Junker l’avait aperçu était situé par 23° 13’ de longitude est (Greenwich), mais ensuite, que devenait-il ? Les uns en faisaient le cours supérieur du Chari et voulaient qu’il se jetât dans le lac Tchad ; les autres, le cours supérieur de l’Arouhimi, et le tenaient par conséquent pour un affluent de droite du Congo. De toute manière, il était incontestable que ses sources étaient très voisines de Ouadelaï, sur le Nil, et d’autre part que sa direction générale restait constamment orientée de l’est à l’ouest. Il importe de retenir soigneusement ces deux points.

Les agens de l’État indépendant s’efforcèrent donc, partant du Congo, d’atteindre l’Ouellé et de combler par leurs découvertes ce grand espace blanc qui, sur la carte, séparait ces deux cours d’eau.

En 1884, le capitaine Hanssens reconnaissait, à 30 kilomètres de la station de Bangala, une large rivière débouchant dans le Congo, sur la rive droite, et nommée Oubangui par les indigènes. L’année suivante, le missionnaire explorateur Greenfell la remontait sur une longueur de 500 kilomètres. En apprenant les résultats de ce voyage, M. Wauters émit dans son journal, le Mouvement géographique, l’hypothèse que cet Oubangui pourrait bien être le cours inférieur de cet Quelle sur la destinée duquel on avait tant discuté. Avec beaucoup de sagacité, il appuyait son opinion sur les mesures d’altitudes, sur celles du volume des eaux, sur l’époque différente des crues dans les deux rivières. Il fut loin de rallier tous les géographes à sa manière de voir. Cependant il était dans le vrai, comme le capitaine van Gèle le démontra le 1er janvier 1888. Il franchit, sur son petit vapeur l’En-Avant, ce dédale de rochers qui hérissent le lit de l’Oubangui, entre les postes actuels de Bangui et de Zongo, et qui avaient arrêté Greenfell. Alors se présenta devant lui un fleuve « dont la vue était superbe, l’eau libre d’obstacles, la largeur de 800 à 900 mètres » et qui venait de l’est. Il le remonta jusqu’au moment où il rencontra de nouveaux rapides. Van Gèle ne poussa pas plus loin son exploration. Cette barrière de Mokouangou était infranchissable. De la rive les indigènes hostiles narguaient les étrangers, leur faisant entendre par des gestes moqueurs que, pour s’élever au bief supérieur, il leur faudrait des ailes. Puis, la tragédie succéda à la comédie, les violences aux plaisanteries. Ils attaquèrent l’expédition belge avec un tel courage qu’ils venaient se faire tuer à quinze mètres du canon des fusils. Mais van Gèle avait le droit de virer de bord. Il avait dépassé, venant de l’ouest, le 22° de longitude est (Greenwich) ; de l’est, Junker avait atteint 23° 13′. Le doute n’était plus possible. Comme l’avait avancé