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Nil fertilise ; il les ménage dans les combats ; il les établit dans de délicieuses sinécures. Cette préférence exaspère les Ouled-Ballad; d’une culture relativement avancée, ils ont pour les Baggara le plus profond mépris. Ils les considèrent comme des manans grossiers, répugnans de saleté sous leurs loques graisseuses, ridicules par l’accent de terroir dont ils assaisonnent leur arabe.

Au parti des Ouled-Ballad se joint la famille du Mahdi et sa clientèle. Cette camarilla a été si complètement ruinée depuis 1883, que les femmes du Mahdi seraient littéralement mortes de faim, si elles n’avaient représenté au calife que leur dénûment était indigne de personnes qui ont eu l’honneur de partager la couche d’un prophète.

Tous ces mécontens se groupent autour du calife Charli. Ohrwalder ne le juge pas de force à renverser le calife Abdallah. Un puissant parti d’opposition n’en est pas moins constitué, qui vraisemblablement, à la mort du calife régnant, tentera de chasser les Baggara du pouvoir.

Refroidissement de leur enthousiasme, querelles intestines, voilà deux des principaux motifs qui rendent improbables les velléités de conquête des mahdistes. Pas plus que les anciens soldats d’Emin, pas plus que les nègres, ils ne semblent donc capables de s’opposer à une occupation durable de la province équatoriale par les Européens. Il serait assurément bien audacieux d’avancer qu’aucun conflit ne surgira, qu’aucune balle, ni aucune flèche ne sifflera à travers les hautes herbes qui bordent le Nil, mais une tentative d’expansion coloniale dans la province équatoriale, étant donné son état politique, ne présente rien d’extrêmement téméraire.


II. — LES PROGRÈS DES BELGES DE L’OCÉAN ATLANTIQUE VERS LE HAUT-NIL

Parmi les successeurs possibles de l’Egypte dans la province équatoriale, les Belges figurent au premier rang. Leurs prétentions à cet héritage sont justifiées par l’arrivée de l’expédition van Kerckhoven sur le Haut-Nil. Le succès de cette expédition ne doit pas nous surprendre. Il a été préparé par un rude labeur de plusieurs années. Il forme la conclusion de l’expansion graduelle des Belges dans le bassin du Congo. Leur espérance de maintenir définitivement planté sur le fort de Ouadelaï le drapeau bleu étoile d’or s’explique donc par l’histoire de ces progrès.

Les premières visées des Belges sur l’Afrique datent de 1876. L’opinion publique européenne était alors déjà vivement sollicitée