Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/332

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ceux qui étaient à terre et s’emparent de l’un des navires. Leur chef, l’émir Hasib, se sauve sur l’autre et arrive à Omdurman en fugitif.

Ces échecs démontrent que la situation actuelle des mahdistes dans la province équatoriale est loin d’être assez forte pour inquiéter les Européens. Mais cette certitude n’est pas suffisante, car ils sont peut-être capables d’entreprendre dans l’avenir quelque formidable expédition devant laquelle toute résistance serait impossible.

Remarquons d’abord que la voie du Nil n’est pas complètement libre. Les Shillouk, qui habitent au confluent du Nil blanc et de la rivière des Gazelles, ont à tirer vengeance de la mort de leur chef, dont la tête se balançait encore au gibet d’Omdurman, lors de la fuite d’Ohrwalder. Ils harcèlent le poste mahdiste de Fachoda et entravent efficacement les communications entre Omdurman et Redjaf.

D’autre part, le livre d’Ohrwalder révèle un état général de faiblesse du régime mahdiste. Les défaites subies sur le Nil blanc ne sont pas les seules éprouvées par les derviches en ces dernières années. Le 3 août 1889, une de leurs armées a été anéantie par les troupes anglo-égyptiennes à Toski. En février 1891, ils ont été contraints d’évacuer la forteresse d’Handoub, en mars celle de Tokar et, du même coup, ils ont perdu la route si importante de Souakin à Berber. Leur tactique barbare, qui consistait, lance dans une main, sabre dans l’autre, à courir sus à l’ennemi, en poussant des hurlemens, a réussi tant qu’ils ont été possédés de la conviction que la mort sur le champ de bataille leur ouvrait les portes du paradis. Mais la mort du Mahdi, si dépourvue d’apothéose, en contradiction si absolue avec les enseignemens de toute sa vie, — on sait que ce prôneur hypocrite de la sobriété et de la chasteté a péri d’excès de table et de harem, — a dessillé les yeux de ses partisans les plus aveugles. Tout un cortège d’illusions l’a suivi dans la tombe. Les plus prévenus eux-mêmes ont été obligés de s’avouer que le Mahdi n’était qu’un merveilleux charlatan, et cette découverte a singulièrement refroidi leur enthousiasme.

Vu de près, l’édifice élevé par le Mahdi paraît peu solide. Des lézardes courent dans les murs, de la base aux combles. Il s’est formé deux partis, celui des Baggara (tribu qui habite entre le Darfour et le Nil, au sud du Kordofan), et celui des Ouled-Ballad (nom collectif qui désigne plusieurs tribus, dont la plus importante est colle des Dongolais).

Le calife appartient par son origine aux Baggara. Il leur a prodigué ses faveurs ; il leur a distribué les bonnes terres que le