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pas étonnant que quelques sections de miliciens suffisent pour assurer l’ordre dans notre colonie du Congo, dont la superficie dépasse celle de la France? qu’avec un faible déploiement de forces militaires, les Belges prétendent gouverner un domaine colonial dont l’étendue est soixante-cinq fois plus grande que celle de leur patrie, et y réussissent? L’absence d’union entre les tribus nègres explique ce phénomène. Le morcellement politique des pays du Haut-Nil, qui a permis aux marchands d’esclaves d’accomplir leurs exploits néfastes, qui a favorisé l’occupation de l’Equatoria par le khédive d’Egypte, doit également assurer l’établissement des Européens.

Ajoutons que l’état de l’armement des indigènes ne leur permet pas non plus de lutter longtemps avec succès. Assurément, il n’autorise ni le mépris, ni le dédain. Ces longues lances, ces flèches empoisonnées pourvues d’hameçons qui arrêtent le fer dans la plaie, ces petits couteaux de jet à large lame et surtout le trombache, ce couteau à quatre lames qui blesse à coup sûr, prouvent une certaine fécondité d’imagination dans l’art de nuire. Mais, si effilé que soit le fer de la flèche, si tranchantes que soient les lames du trombache, si durement bandé que soit l’arc qui décoche l’une, si musclé que soit le bras qui lance l’autre, comment de telles armes prétendraient-elles prévaloir contre le fusil à répétition, cette ultima ratio de l’explorateur contemporain?

Reste une troisième catégorie d’individus beaucoup plus redoutable aux Européens que la précédente: les madhistes.

Les ouvrages du docteur Stuhlmann et du capitaine Lugard sont à leur sujet des sources insuffisantes. La position des madhistes sur le Haut-Nil n’est pas nettement fixée par les quelques renseignemens qu’ils nous donnent. Un autre document vient heureusement combler les lacunes de nos connaissances. Les lecteur de la Revue se souviennent des aventures du Père Joseph Ohrwalder dont naguère les entretenait un éminent écrivain[1]. Ils se rappellent comment ce missionnaire, qui était parti pour aller instruire les nègres du Dar Nouba, dans le Kordofan méridional, tomba le 15 septembre 1882 au pouvoir du Mahdi, fut ensuite transporté à Omdurman devenue, après la destruction de Khartoum, la capitale du Soudan; et comment, dans la nuit du 29 novembre

  1. Voyez dans la Revue du 1er janvier 1893, le Père Joseph Ohrwalder et ses années de captivité dans le Soudan, par M. G. Valbert. L’auteur regrettait que le récit du missionnaire n’eût pas paru sous sa forme originale, mais eût subi les retouches, parfois indiscrètes, du major anglais Wingate. Depuis, Ohrwalder a publié lui-même l’histoire de ses aventures sous le titre : Aufstand und Reich des Mahdi im Sudan, und meine zehnjœhrige Gefangenschaft dortselbst. 1 vol. in-8o. Innsbruck, 1892. Désormais cette édition fait autorité.