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d’y vouloir aller, écrit M. le Prince[1]; j’ay peine à le croire; c’est un trop gros morceau, » — pour cette année du moins ; mais tout révèle leurs intentions, leurs préparatifs pour la campagne prochaine.

C’était une sorte de tendresse paternelle qui attachait Condé à la place de Philisbourg, glorieuse conquête de ses jeunes années, et qui, depuis le jour où il en avait forcé les remparts trente-deux ans plus tôt, n’a pas cessé d’appartenir à la France. Et il apporte le soin le plus assidu à munir, à conseiller le gouverneur du Fay, qu’il connaît depuis longtemps et qui mérite toute sa confiance. Il éclaire le ministre sur le vrai dessein des ennemis, indique les moyens de sauver Philisbourg. Il n’est pas écouté. La campagne prochaine ne donnera que trop raison à sa perspicacité[2].

Quand l’armée impériale reste ou revient près de Wissembourg, c’est que Montecuccoli a repris ses vues sur le pont de Kehl, s’occupe d’en rétablir un autre non loin de Strasbourg afin de pouvoir sortir facilement d’Alsace et y rentrer non moins facilement. Il cherche à donner le change à son adversaire, sans y réussir, simule des tentatives qui ne trompent personne. Condé lui fait échec partout, le tient sous la menace d’une attaque immédiate si les Impériaux font mine de s’approcher d’une de nos places, de revenir sur Strasbourg ou de se glisser en Haute-Alsace. Admirablement secondé par ses brigadiers de cavalerie et par les gouverneurs de Haguenau et de Saverne, il continue d’affamer l’ennemi, de lui disputer les bateaux, les convois, l’empêche de se saisir de points favorables pour établir ses ponts, tels que l’île de Drusenheim, en face de Stollhofen, lui donne enfin le souci constant de se voir coupé du fleuve. Mais Condé ne songe pas à fermer le passage à son adversaire; il veut seulement le contraindre à chercher ce passage loin de Strasbourg, à traverser le Rhin pour ne plus revenir, et, le poussant toujours, il finira par le forcer à faire descendre ses bateaux jusqu’à l’extrême limite de l’Alsace, presque en dehors, à l’embouchure de la fauter.


VII. — L’ALSACE ET STRASBOURG. — MONTECUCCOLI REPASSE LE RHIN.

Bien assuré maintenant du résultat final et obligé de l’attendre avec patience, tout en multipliant ses mesures pour en hâter l’accomplissement,

  1. A Louvois, 17, 18 septembre. A. C. (minutes).
  2. Philisbourg fut pris l’année suivante (8 septembre 1676), par la faute de Luxembourg, a-t-on dit et redit. C’est le plus malheureux épisode de la carrière du Tapissier de Notre-Dame. — Du Fay ne rendit la place que sur l’ordre exprès du Roi et obtint la capitulation la plus honorable.