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en bouches à feu et munitions de tout genre[1], il n’a plus un attelage pour traîner ses pièces et ses caissons ; les derniers ont disparu. Tout ce qu’on a pu rassembler de montures ou de fourrages a été consacré à remettre sur pied une partie de la cavalerie. Quatre à cinq mille chevau-légers divisés en partis qu’un service d’estafettes bien organisé relie avec le quartier général, tiennent la campagne depuis le Rhin jusqu’aux montagnes, enlevant les convois, arrêtant les bateaux, détruisant les fourrages, surveillant, resserrant les ennemis, les fatiguant d’alertes continuelles. D’autres détachemens, sortis de Haguenau, de Saverne, de Philisbourg même sur la rive droite du grand fleuve, concertant leurs mouvemens, complètent cette espèce de blocus de l’armée impériale, lui coupent les vivres, interceptent ses communications avec Strasbourg, avec le Rhin, avec l’Allemagne.

La vigilance de M. le Prince s’étendait jusqu’au revers occidental des Vosges. Déjà Ricous est à Phalsbourg[2], envoyant des nouvelles, stimulant l’activité de la garnison importante que, dès le mois d’août, la même pensée prévoyante avait envoyée dans cette place. Un peu plus tard, deux brigades de cavalerie sont poussées jusqu’à Baudonvillers. Des partis ennemis qui essayaient de passer de Lorraine en Alsace furent battus, les passages fermés de ce côté, les communications assurées avec le maréchal de Rochefort pour empêcher toute tentative de (jonction à travers les Vosges entre les vainqueurs de Trêves et les Impériaux postés en Basse-Alsace.

Mais, dès le 14, le siège de Saverne était levé[3]. Est-ce bien un siège que Montecuccoli voulait entreprendre ? Il ne fit aucun travail régulier d’approche, se bornant à investir la place et à la couvrir de projectiles pendant deux jours. Condé n’eut-il pas raison d’éventer un piège ? À quoi bon cette bruyante tentative, si ce n’est pour attirer le général français vers le nord et lui faire abandonner la protection de la Haute-Alsace ? Le gouverneur, du Fougerais, avait supporté sans sourciller cette canonnade furieuse ; on ne pouvait douter de sa résolution de défendre la place à outrance. L’attitude énergique de ce brave homme[4] suffit-elle à faire reculer Montecuccoli ? ou bien le feld-maréchal fut-il déconcerté par l’ensemble des mesures que M. le Prince avait ébauchées et dont nous avons rapidement tracé l’esquisse ? Ce n’était

  1. États du 16 septembre, etc. A. C.
  2. M. le Prince à Ricous, 1er septembre. A. C.
  3. M. le Prince à Louvois, 15 septembre. A. C. (minute).
  4. « Du Fougerais a fort bien fait. » M. le Prince demande qu’on lui laisse le commandement de Saverne. (A Louvois, 20 septembre. A. C. minute.)