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marchaient vers la Bruche. Ils y sont attendus. Le 26, les deux armées sont en présence et se canonnent toute la journée. Le soir, les Français se retirent dans la direction de Benfeldt, et s’arrêtent le 27 à Hipsheim sur l’Ill, derrière la Sheer. Les rôles sont renversés : c’est Montecuccoli qui offre la bataille, c’est Condé qui la refuse.

M. le Prince avait beaucoup vu, beaucoup observé pendant ces quelques jours passés au milieu de ses troupes. Il ne se sent guère secondé dans le commandement. S’il n’avait Chamlay et M. le Duc pour traduire, exécuter sa pensée, son embarras serait grand. On lui a ôté Rochefort. La Feuillade est vaillant, de belle humeur, mais cervelle creuse et ne méritant pas qu’on « fasse grand cas de ses avis »[1]. Les deux lieutenans généraux, Lorges et Duras, sont malades[2]. Il faut s’adresser aux brigadiers, Feuquières, La Motte, et autres, qui sont bons, comme les officiers de troupes. Que de files creuses dans les rangs de l’infanterie ! Il est vrai que si le nombre est faible, la qualité est supérieure : « Les hommes sont fort bons et ont fort bon air[3]. »

Quand on lit ce que Condé et son fils écrivaient sur l’armée qui avait suivi Turenne, on pense à cette autre armée du Rhin qui repassait aussi le fleuve en 1796 à Huningue après une rude campagne : « Du costume militaire nos hommes n’avaient conservé

  1. Gourville à M. le Prince, 16 octobre. A. C. — Chevaleresque, aventureux, bizarre, souvent blessé, bien vu des dames, François d’Aubusson, comte, puis duc de La Feuillade, faisait remonter son origine au IXe siècle. « Pourvu que La Feuillade m’accorde d’être aussi bon gentilhomme que lui, disait Louis XIV, c’est tout ce que je lui demande. » Sa vanité ne l’empêchait pas de donner à son dévouement les formes de la servilité orientale et de pousser l’attachement au Roi jusqu’à l’adoration. On connaît ses démonstrations de la place des Victoires; nous avons raconté ailleurs (t. V, p. 149) ses démêlés avec Saint-Aunais. — Né en 1625, mort en 1691, — Son père avait été tué à Castelnaudary, tenant le parti du duc d’Orléans. Son fils devint, comme lui, maréchal de France, et son frère, l’archevêque d’Embrun, fut ambassadeur à Madrid.
  2. Duras venait de recevoir le bâton de maréchal ; mais il continuait de « rouler » pour le service avec son frère de Lorges. Tous deux avaient jadis suivi Condé aux Pays-Bas. (Voir t. VI, p. 336.)
  3. M. le Prince à Louvois, 20 août. A. C. (minute). — Un « estat au vray », dressé par M. le Duc le 18 août, à son arrivée, donnait : Infanterie, «sans valets ny destachés hors du camp », 8 637 hommes; « cavaliers en estat de servir », 7 793; cavaliers à pied, 663, total, 17 095 hommes. Ce chiffre se rapproche de l’évaluation de M. le Prince qui, ayant vu l’armée en route, déclara qu’elle ne dépassait pas 16 000 hommes, en y comprenant, il est vrai, deux très beaux régimens de dragons qui ne figurent pas dans l’évaluation de M. le Duc. — L’infanterie était répartie en quatre brigades (une de 6, une de 5, deux de 4 bataillons), chaque brigade portant le nom du plus ancien régiment de la brigade, Champagne, la Marine, Rambure, Auvergne; 19 bataillons embrigadés, plus 2 à la réserve = 21. — 67 escadrons de cavalerie, et deux régimens de dragons. — Environ 120 chevaux par escadron et 400 hommes par bataillon. — Au printemps on comptait 162 escadrons dans l’armée de Turenne.