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le détachement auquel il avait si imprudemment donné l’ordre de repasser le Rhin; juché sur son cheval, la jambe attachée sur l’arçon, il racheta sa faute par son dévouement, et se fit tuer à la tête de ses soldats. M. de Lorges, qui avait bien aussi sa part de responsabilité par son imprévoyance, déploya la plus brillante valeur, ramena plusieurs fois les escadrons ébranlés; mais, comme le dit un bon juge, à la fois témoin et acteur, Feuquières, la journée d’Altenheim fut surtout glorieuse pour les soldats et les officiers particuliers[1]. Sur le soir, les Impériaux étaient partout en retraite. Le jour suivant, le passage s’opéra dans le calme.

M. de Lorges eut le double déboire de remettre le commandement à son frère, le duc de Duras, et de lui voir porter le bâton de maréchal qu’il avait peut-être espéré pour lui-même. L’accord était déjà fait entre Montecuccoli et les magistrats de Strasbourg ; l’armée impériale avait passé à Kehl, et disposait encore d’un autre pont construit à la Wanzenau. La Basse-Alsace n’avait que ses places pour défense. Avec raison, Duras songea surtout à la Haute-Alsace, grenier de l’armée et particulièrement en péril. Afin de la fermer à l’ennemi, il s’établit à Châtenois, sur un contrefort des Vosges, au débouché de Sainte-Marie-aux-Mines, à l’endroit où la plaine offre le moins de largeur. Ainsi postée, l’armée attendit le chef que le Roi venait de lui donner et qui avait été désigné par la voix de la nation pour prendre la place de Turenne.


IV. — M. LE PRINCE ENVOYE EN ALSACE. — RETARDS. — DEFAITE DE CREQUI (11 août).

Le Roi avait terminé sa campagne solennelle dans les Pays-Bas. Resté seul investi du commandement, Condé se trouvait ramené sur le terrain où il avait si longtemps manœuvré l’année précédente, aux bords de la Dender, aux environs d’Ath, en face du même adversaire, de Guillaume, qu’il se préparait à combattre, tout au moins qu’il saurait retenir loin du Rhin. Il avait bien quelque souci d’un orage qui menaçait du côté de l’Est : l’ennemi des anciens jours, le vieux Charles IV de Lorraine, venait de ressusciter et s’était mis à la tête des troupes qui se rassemblaient à Coblentz. Mais d’Estrades était à Maestricht, Créqui à Trêves; avec le concours de lieutenans aussi vigilans, aussi expérimentés,

  1. Officiers de troupe. — Certains régimens d’infanterie firent une résistance héroïque. Sur seize capitaines du régiment de La Ferté, quinze furent tués dans leurs créneaux, sans que le régiment reculât.