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Quant au ministère Riaz, il n’a pas répondu aux espérances de ses débuts. On se rappelle les circonstances au milieu desquelles il s’est formé. Quelque forte et prépondérante que soit la situation des Anglais en Égypte, il ne suffit pas de leur complaire en toutes choses pour se perpétuer nécessairement au pouvoir. Moustapha-Pacha-Fhemy en avait déjà fait la triste expérience. S’il y a jamais eu un instrument docile et passif entre les mains de lord Cromer, à coup sûr c’était lui. Sa complaisance ne l’a pas empêché de tomber, bien au contraire ! Il y a aujourd’hui, en Égypte, grâce aux lumières qui se répandent de plus en plus dans les générations nouvelles, une opinion publique dont il faut tenir compte. Elle est sévère pour les ministres qui réduisent leur rôle à n’être que les premiers commis de l’agent général britannique, et tôt ou tard elle prévaut. Moustapha-Fhemy est mort d’une sorte d’impossibilité de vivre. Le Khédive a voulu le remplacer par Fakhry-Pacha, mais il a négligé de demander, au moins dans une forme assez soumise, l’adhésion de lord Cromer. Celui-ci a montré la mauvaise humeur de la fée qu’on a oublié de convier autour du berceau du nouveau-né, avec la différence qu’il n’a pas remis sa vengeance à plus tard. Il a traité le Khédive comme un écolier qui s’émancipe et l’a rudement rappelé à l’ordre. Mais le jeune Khédive, qui a une raison et un sang-froid très supérieurs à son âge, tout en renonçant à Fakhry-pacha, ne s’est pas montré disposé à accepter purement et simplement un ministre des mains de lord Cromer. De part et d’autre on a transigé, et de cette transaction est sorti le ministère Riaz. L’opinion publique l’a bien accueilli, parce qu’elle a vu dans son avènement un demi-succès pour le Khédive. La popularité de celui-ci en a été augmentée, et si Riaz avait compris le parti qu’il pouvait tirer des circonstances, son existence ministérielle aurait été probablement plus longue et, dans tous les cas, plus brillante.

Riaz-Pacha est un honnête homme, très entêté dans ses idées. Malheureusement ses idées datent de loin, et il n’a pas su les renouveler avec les circonstances. Il n’aime pas les Anglais, mais il éprouve tout juste le même sentiment à l’égard des Français, et il semble même que, par une bizarrerie de son imagination, ou par des réminiscences d’un passé mal interprété, il les craigne quelquefois encore davantage. En vérité, ce n’est pas le moment ! Quoi qu’il en soit, ses défiances éveillées également dans les sens les plus divers l’ont mis peu à peu dans la dépendance des plus forts. Lord Cromer a usé adroitement de ses avantages, et le moment est venu où Riaz, bien qu’il soit très supérieur par son caractère à Moustapha Pacha-Fhemy, n’a plus été, à son exemple, qu’un instrument entre les mains de l’Angleterre. L’opinion s’est détachée de lui, la confiance du Khédive a diminué, et Riaz n’ayant plus de point d’appui que dans lord Cromer a été réduit, pour prolonger ses jours, à lui complaire en tout.