Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout entière dans la petite fille qui allait porter seule le poids du nom de Sforza et lui donner un nouveau lustre. Elle naquit en 1463 d’une liaison de Galeazzo, — il avait alors 17 ans, — avec une dame de Milan, Lucrezia Andriani. Suivant l’usage accepté dans ces cours italiennes, la duchesse Bonne de Savoie éleva Catherine et les autres bâtards de son mari avec la même affection, sur le même pied que les enfans légitimes.

La fille du duc de Milan était encore aux langes qu’on cherchait pour elle un grand établissement : il ne se fit pas attendre. Sixte IV venait de monter sur le trône pontifical ; l’ex-capucin de Savone y apportait la politique du népotisme à outrance, et les mariages avantageux étaient l’un des moyens qu’il employait pour grandir ses neveux. Ce pape avait appointé l’union de l’un d’eux, Girolamo Riario, fils d’un batelier génois, avec Constance Fogliani, nièce du duc Galeazzo. Il faut tout dire, quand on veut peindre ce monde étrange, fou de cupidité, que fut l’Italie du Quattrocento. La fiancée n’avait pas onze ans ; pressé de mettre la main sur la dot promise, le Riario accourut à Milan et réclama un droit qui ne se refusait guère alors, si l’on en croit les Usi e costumi nuziali principeschi de Pietro Ghinzoni ; le droit di passare ad un effettivo atto matrimoniale, anchè se la sposa era ancora bambina. Galeazzo ne s’embarrassa pas de cette prétention; mais la mère, Gabrielle de Gonzague, défendit son enfant et rompit. Le duc, peu soucieux d’irriter le pontife romain, proposa alors à Riario sa fille Catherine, qui accomplissait ses dix ans ; à la condition que le pape constituerait les futurs époux vicaires souverains du comté d’Imola, objet d’un litige entre Milan et le Saint-Siège. Les accordailles furent conclues par les soins du cardinal Riario, frère de Girolamo ; son ambassade éblouit Milan ; elle répondit à la magnificence légendaire de ce favori de Sixte IV, qui dépensait huit cents ducats d’or pour couvrir de perles fines les mules de sa maîtresse.

L’enfant dont on disposait ainsi grandissait sous la protection de sa mère adoptive, l’excellente Bonne de Savoie. A peine avait-on assuré son avenir, que son père disparaissait dans une de ces catastrophes qui seront désormais pour Catherine les événemens habituels de la vie domestique. A la Noël de 1476, le duc Galeazzo expirait sous les poignards des conjurés milanais, au seuil de l’église Saint-Etienne. Dans le tableau animé qu’il fait de cette scène, M. Pasolini met justement en relief un trait de caractère commun à tous les conspirateurs de l’époque, et qui est l’un des premiers effets de la renaissance classique : le singulier alliage dans leur esprit de la légende grecque et romaine avec la légende dorée du moyen âge.

Les assassins s’entraînent au meurtre du tyran en lisant Plutarque.