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très nettement dans la République Argentine où le relèvement économique s’accomplit en partie grâce à une énorme dépréciation de la monnaie de papier. Aussi voit-on dans ce pays le gouvernement et la population s’unir dans un commun effort pour maintenir le change au taux le plus élevé possible, au grand détriment d’ailleurs des créanciers étrangers de la République.

La Chambre, après avoir entendu les partisans et les adversaires des nouveaux droits, a repoussé par 427 voix contre 81 la taxe extrême de 10 francs et par 360 contre 150 la taxe de 8 francs.

M. Méline s’était rallié à la dernière heure au droit de 7 francs que le gouvernement avait proposé dès le début et qui a obtenu 362 voix contre 166. On a sacrifié d’un commun accord la combinaison de l’échelle mobile que la commission avait présentée comme un correctif du droit de 8 francs. Aucune suite n’a été donnée à l’idée de droits proportionnels à la perte au change dans certains pays étrangers.

Le Sénat ayant ratifié presque sans débat le vote de l’autre assemblée, le seul résultat de cette mobilisation générale de l’armée protectionniste a été l’imposition d’une surtaxe de 2 francs au droit existant. Cette modération relative, après de si violentes démonstrations en faveur de mesures beaucoup plus énergiques, a été déterminée par une double considération. Les amis les plus déterminés de l’agriculture ont dû reconnaître qu’il pouvait être dangereux de jouer sans précaution de l’arme protectionniste. Le traité de commerce que la Russie a conclu avec l’Allemagne, celui qu’elle négocie avec l’Autriche-Hongrie, leur ont ouvert les yeux. Puis, derrière les questions douanières ils ont vu apparaître les questions sociales, derrière M. Méline les citoyens Jaurès et Jules Guesde.

Les protectionnistes ont eu l’imprudence de reprocher aux libéraux de favoriser par leur doctrine du « laisser faire » la propagande révolutionnaire et anarchiste. Les libéraux n’ont pas eu de peine à démontrer que le protectionnisme conduisait à l’étatisme (abominable néologisme, aussi affreux que la chose qu’il représente) et que de l’étatisme on versait dans le socialisme et dans le collectivisme.

La démonstration était superflue, car M. Jaurès est venu très franchement étaler le phénomène à la tribune. Que demandait-il? Rien que de raisonnable, si l’on pousse à ses conséquences extrêmes la doctrine qui a inspiré le droit de 7 francs. Il demandait que l’État eût seul le droit d’importer les blés et les farines, et de les revendre à un prix fixé par une loi chaque année.