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et Lamé étaient conduits, par l’étude de la double réfraction, à partager leur avis.

Longtemps, les physiciens demeurèrent en suspens entre l’hypothèse de Fresnel et celle de Mac Cullagh et de M. Neumann, cherchant en vain une expérience capable d’exclure définitivement l’une ou l’autre de ces deux hypothèses, désespérant de trouver une telle expérience, parfois même s’imaginant en avoir démontré l’impossibilité. En 1891, M. Otto Wiener apporta l’expérience tant désirée ; par cette expérience, qui rappelle celle qu’avaient faite Fresnel et Arago, celle qui avait révélé à Fresnel la constitution de la lumière polarisée, M. O. Wiener prouvait la proposition suivante : si l’on convient de mesurer l’intensité de la lumière, en un point d’un espace éclairé, par la force vive moyenne de la molécule d’éther qui vibre autour de ce point, convention également acceptée par Fresnel, par Mac Cullagh et par M. Neumann, la vibration d’un rayon polarisé ne peut être située dans le plan de polarisation ; le système de Mac Cullagh et de M. Neumann doit être définitivement rejeté.

Ce que condamne l’expérience de M. O. Wiener, ce n’est pas l’hypothèse particulière que la vibration est parallèle au plan de polarisation ; ce qu’elle condamne, c’est l’ensemble des hypothèses qui constituent la théorie de Mac Cullagh et Neumann ; elle nous apprend que cet ensemble est en désaccord avec les faits ; elle nous contraint d’en abandonner quelque chose, mais elle ne nous dit pas ce qu’il y faut changer ; nous pouvons, par exemple, renoncer à mettre la trajectoire de la molécule éthérée dans le plan de polarisation du rayon ; mais nous pouvons aussi laisser la molécule éthérée vibrer dans le plan de polarisation, pourvu que nous changions quelque autre hypothèse à la théorie, par exemple l’hypothèse qui précise le sens mécanique attribué à l’intensité lumineuse ; c’est ce qu’a si bien montré M. H. Poincaré.

Ce n’est pas là, du reste, une particularité de l’expérience réalisée par M. O. Wiener ; c’est un caractère général de la méthode expérimentale ; il n’est jamais possible de soumettre au contrôle de l’expérience une hypothèse isolée, mais seulement l’ensemble des hypothèses — et, en général, elles sont innombrables — qui constituent une théorie ; si l’expérience contredit aux prévisions du théoricien, jamais elle ne condamne nommément une de ses hypothèses, mais seulement le système entier de ses suppositions ; elle lui enjoint de changer quelque chose à ce système ; elle ne lui dit pas ce qu’il fautchanger ; en un mot, l’experimentum crucis, tel que l’imagine la philosophie baconienne, est impossible en