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coutume d’attribuer à l’espace vide ; donc, à égalité d’étendue, deux corps ont autant de substance l’un que l’autre ; il n’y a pas plus de matière, pas plus de substance corporelle, dans un vaisseau rempli de plomb ou d’or que dans un vaisseau de même volume rempli d’air. Réciproquement, une même partie de matière, ne pouvant avoir tantôt plus et tantôt moins de substance, ne pourra avoir tantôt plus et tantôt moins d’étendue ; elle pourra changer de figure, mais son volume demeurera éternellement invariable ; la matière est, en soi, rigoureusement incompressible.

Imaginez alors une file, un rayon de parties matérielles s’étendant, en ligne droite, du Soleil à notre œil ; la première de ces parties est une de celles dont le mouvement constitue la lumière solaire ; supposez qu’à un instant quelconque elle entre en mouvement et qu’elle s’avance d’une certaine longueur suivant le rayon considéré ; la seconde partie, qui est incompressible, ne peut permettre à la première d’avancer, à moins d’avancer elle-même au même instant, et de pousser la troisième ; celle-ci, à son tour, pousse au même instant la quatrième, et ainsi de suite ; en sorte qu’au moment même où la première s’est mise en marche, la dernière a éprouvé une impulsion et s’est également mise en marche ; de même, à l’instant précis où l’on pousse le bout d’un bâton, l’autre bout entre en mouvement ; aucun laps de temps, si petit soit-il, ne sépare la mise en marche de la première extrémité de la mise en marche de la seconde ; la lumière se communique donc instantanément du Soleil à notre œil, de la source qui l’a émise aux points les plus éloignés.

Cette communication instantanée de la lumière était loin d’apparaître aux contemporains de Descartes comme une vérité incontestable ; déjà Galilée s’était demandé si la lumière ne mettait pas, comme le son, un certain temps à se propager, s’il ne s’écoulait pas une certaine durée entre le moment où s’allume un signal lumineux et le moment où il est aperçu à grande distance ; il avait même cherché dans l’expérience une réponse à cette question. Sa méthode était ingénieuse : deux observateurs placés, pendant la nuit, à une certaine distance l’un de l’autre étaient munis chacun d’une lanterne dont un volet arrêtait la lumière ; le premier, dirigeant le verre de sa lanterne vers le second, ouvrait brusquement le volet ; au moment où le second apercevait la lumière, il ouvrait rapidement à son tour le volet de la lanterne qui lui était confiée ; si la propagation de la lumière exigeait un certain temps, le pnîinier observateur devait percevoir un certain laps de temps entre l’instant où il ouvrait le volet