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pénétrée de l’importance de l’acte qu’elle accomplissait, tandis que, parmi l’occupation française, Davout seul semblait en mesurer les conséquences et la portée.

Même des hommes médiocres, comme Beyme et Altenstein, n’ont pas été les plus insensibles à la grandeur de l’idée. Mais s’il est possible de faire honneur à l’un des hommes d’Etat prussiens de ce qui fut le résultat d’un courant d’idées général, c’est à Guillaume de Humboldt qu’en doit revenir le mérite. Il devait être plus tard fort mêlé à la politique de la Prusse, à sa politique extérieure lorsqu’il la représenta au congrès de Vienne, à sa politique intérieure, où il apporta dans ses démêlés avec Hardenberg, après 1815, un esprit plus original qu’administratif. Mais il n’a jamais effacé les titres qu’il s’était acquis en 1809 à la reconnaissance de la Prusse.

Né en Prusse, ou du moins d’une famille prussienne, Guillaume de Humboldt forme, par plus d’un trait, le lien entre le mouvement intellectuel qui trouva dans Gœthe et dans Schiller sa plus haute expression, et l’Allemagne nouvelle qui s’éveillait à la voix de Stein. Distingué de bonne heure par une étude philosophique sur le rôle de l’Etat, il s’était fait bientôt dans le milieu intellectuel une situation de premier ordre. Emporté dans le courant des idées de Weimar, collaborateur des Horen, il avait été d’abord conduit, par l’étude de l’antiquité grecque, vers un quiétisme qui semble avoir dépassé même celui de Gœthe. Mais plus jeune que Gœthe, il était mieux préparé que lui à suivre les tendances nouvelles qui portaient son siècle à l’action ; et, bien que l’un des adeptes du cercle de Weimar, il devait laisser une trace marquante dans les événemens contemporains.

Il définissait bien lui-même ses tendances d’idéologue en même temps qu’il donnait, dès le début de l’ère impériale, la plus juste critique du régime napoléonien, lorsqu’il écrivait à Schiller : « Rien dans le monde ne domine les idées. Eussé-je entre les mains un pouvoir aussi étendu que celui qui pèse en ce moment sur l’Europe, je le considérerais encore comme subordonné à une puissance plus haute. » Et plus tard, il trahissait même quelque exagération d’esprit littéraire, lorsque, parcourant le champ de bataille de Leipzig, il disait à l’un de ses amis : « Voyez-vous, mon cher, les empires tombent et les beaux vers demeurent. »

Beyme l’avait fait désigner, malgré les hésitations du roi qui s’inquiétait de son esprit trop libre et quelque peu païen, pour l’ambassade de Rome. C’est de là qu’il fut rappelé en avril 1809 [1]

  1. Treitschke, Deutsche Geschichte, I. p. 833.