Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/848

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terrain commun d’entente et de concessions réciproques. S’ils ont obéi et s’ils l’ont trouvé, c’est qu’ils croyaient entendre l’Angleterre elle-même parler par sa voix.

Laquelle de ces causes d’autorité et d’ascendant, qui demeurent acquises au souverain constitutionnel, malgré la gêne du régime parlementaire, la loi de 1875 a-t-elle pu assurer au Président irresponsable qu’elle a créé ? Je cherche et n’en vois aucune. Ce n’est pas l’expérience précoce que donnent l’habitude, et comme le maniement instinctif des grandes affaires. Où le Président élu l’aurait-il pris, cet avantage ? Arrivé tard à ce poste élevé, il y est novice à tout âge, et assujetti comme d’autres à un apprentissage que la courte durée de son mandat ne lui laisse pas le temps d’achever. De tout le personnel royal et diplomatique d’Europe, il n’a pas connaissance et n’est pas connu. Les moyens d’information qui abondent entre les mains d’un roi lui manquent absolument. J’ai été le premier, par exemple, à demander qu’on n’attachât pas trop d’importance à l’incident qui s’est passé à la cour de Copenhague ; mais je ne puis m’empêcher de faire remarquer que du moment où il s’agissait de savoir quels sentimens avaient été échangés entre deux personnes royales, si le chef de l’Etat français eût été, lui aussi, de cette condition, l’information lui serait arrivée d’elle-même, sans qu’il eût eu besoin de la chercher, ni surtout d’employer pour l’obtenir la forme singulièrement gauche d’un interrogatoire semi-officiel.

Est-ce un point de vue supérieur à l’intérêt étroit et passager d’un parti qui peut assurer une influence réelle au Président élu et irresponsable ? Mais il est lui-même le produit et l’instrument du parti qui a assuré son élection. Pour tout autre, il est étranger et doit paraître hostile. Ainsi il faut reconnaître qu’il ne dispose d’aucune des forces latentes que le régime parlementaire, même de la plus stricte observance, laisse au souverain constitutionnel. Ce qui n’empêche pas qu’il reste astreint à toutes les gênes que la sévérité du même régime impose à tout chef d’Etat, comme la condition et la compensation de son inviolabilité. Il est exclu, tout comme s’il portait la couronne, de toute participation directe et ostensible au pouvoir. Il se trouve ainsi qu’il a en partage toute l’impuissance matérielle, mais rien de la puissance morale d’un souverain. Il ne garde pour ainsi parler que le côté négatif de la situation.

Dira-t-on que cette infériorité est compensée par la supériorité du mérite exceptionnel dont a dû faire preuve pour monter si haut un fils de ses œuvres : avantage qui n’appartient que rarement à celui qui, suivant l’expression consacrée, ne s’est donné que la peine