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meilleures créations de M. Hauptmann, elle rentre dans un groupe de personnages qu’il excelle à décrire, le seul qui, malgré quelques traits étrangers, lui appartienne, en somme, bien en propre : celui des petites femmes dévouées, tendres, niaises et charmantes. Il en a crayonné quelques-unes avec une justesse de touche saisissante, et aussi avec une émotion communicative. Assurément, c’est assez peu de chose pour un écrivain en qui l’on veut absolument saluer un réformateur. Mais c’est quelque chose ! Quand je pense à la galerie de ses personnages, que je viens de fréquenter avec assiduité, je les vois tous disparaître, sauf les femmes : non pas les femmes « nouveau jeu », oh ! certes pas ! Celles-ci, — Mlle Anna Mahr pourrait l’attester, — n’ont pas à se louer de leur peintre ; mais les autres, les petites femmes à la vieille mode allemande. qui n’ont pas la moindre prétention, qui s’habillent mal, ne soignent pas leurs mains gâtées par les soins du ménage, n’ont jamais ouvert un livre dangereux, qui marquent leur linge, raccommodent les bas de toute la famille, excepté peut-être les leurs pour lesquels elles n’ont jamais de temps et qu’elles portent avec des trous, qui font des confitures à tous les fruits et des conserves de tous les légumes, qui « cuisent » elles-mêmes des plats plus ou moins compliqués qu’elles apportent de la cuisine à leur mari avec des gestes extasiés. Pauvres êtres de bonté, de sacrifice, d’abnégation, qui n’ont qu’un cœur pour aimer, et n’en sont que plus gauches ; qui se donnent au premier signe, avec une passivité qui serait presque animale si un dévouement profond ne la relevait pas ; qui se réjouissent trop d’un baiser et en concluent tout de suite qu’on les aime, et qui s’assomment fatalement en tombant du haut de leurs illusions. Il faut lire les jolies scènes d’Avant l’aurore où Hélène tend ses lèvres au bon socialiste Loth, qui ne se fait pas faute d’en profiter, celles du Collègue Crampton où la petite Gertrude se laisse poursuivre par son fiancé, celles des Ames solitaires où la pauvre Kathe se débat maladroitement pour retenir et reconquérir son mari. Pas un mot qui ne soit d’une absolue insignifiance ou d’une incommensurable niaiserie ; et malgré cela, ou à cause, l’impression est complète ; les petites femmes se détachent en plein relief, s’imposent d’abord à notre attention, puis à notre sympathie et à notre pitié : elles grandissent, elles atteignent peu à peu à d’autres proportions, leur douleur les ennoblit ; elles nous disent, en leur langage simple, quasi puéril et cependant touchant, à travers leurs larmes qui s’expliquent mal, de combien peu de prix est l’effort de notre intelligence, et que, si nous valons un peu, ce n’est jamais que par le sentiment. Humble leçon peut-être, mais d’autant mieux venue qu’elle est plus inespérée, qu’on