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tient, en partie, à la puissance de l’argent ; mais ce n’est pas Juda qui fait la puissance de l’argent ; c’est, à l’inverse, la domination de l’argent qui fait la puissance du juif. Ne prenons point l’effet pour la cause. Avec le rôle de l’argent, tend à grandir, partout, en Asie comme en Europe, le rôle des races que l’histoire et la persécution ont longtemps vouées aux affaires d’argent : Juifs, Grecs, Arméniens, Parsis. L’or étant roi, ses ministres règnent. Mais, hélas ! il nous paraît moins dur d’incriminer « le Sémite » que de nous réformer nous-mêmes.

Allons jusqu’au bout de notre examen de conscience. S’il est inique d’imputer le mammonisme au juif et de rejeter sur les « Sémites » nos fautes et nos vices, est-il toujours juste de s’en prendre à la richesse ? Il ne faut calomnier personne, pas même la richesse et les riches. Le coupable, force est bien de le répéter, ce n’est pas la richesse, mais l’amour immodéré des richesses. La richesse, avons-nous dit, n’est, en soi, ni bonne ni mauvaise ; elle n’est ni belle ni laide. Elle est ce que nous sommes, et ce que nous la faisons. N’en déplaise à ses détracteurs, la richesse, l’opulence même, garde, dans notre culture moderne, un rôle essentiel. Elle a sa fonction sociale, fonction multiple que, par ces temps de démocratie, elle est seule à pouvoir remplir. Frêles ou durables, parmi les choses qui donnent du prix à la vie, plus d’une risquerait de périr avec elle. Ni l’art ni la science, pour ne point parler du reste, ne sauraient longtemps se passer d’elle ; la supprimer, sous prétexte que ses élégances sont su perdues, ce serait couper dans sa tige la fleur suprême de la civilisation. Ne faisons pas les raffinés : sa mission a beau être presque aussi mal comprise du riche que du pauvre, la richesse n’en est pas moins un des facteurs de ce que nous nous plaisons à nommer le progrès, et si elle venait à disparaître, le riche ne serait pas seul à en pâtir. N’en croyons pas des moralistes trop chagrins : la richesse n’est pas forcément chose vile et avilissante ; il n’est pas toujours vrai qu’elle matérialise l’âme et qu’elle « prosaïse » la vie ; si elle n’a pas de poésie en elle-même, elle a moins de peine à se défendre contre le prosaïsme de l’existence. Elle n’est pas toujours oppressive de l’esprit et desséchante du cœur ; il est faux qu’elle étouffe partout l’âme sous le poids de plomb des soucis matériels, ou sous le lourd édredon du bien-être. Elle peut, elle aussi, être libératrice : elle peut émanciper ou soulager l’esprit, en allégeant le fardeau incommode des nécessités quotidiennes. Ceux-là seuls savent être riches qui de leur fortune ont fait un instrument de liberté.

De même, la richesse n’est pas toujours une cause d’isolement.