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oriental, mais il en faut tenir compte. L’Eglise elle-même n’y échappe point. Ne sent-on pas chez elle comme un léger adoucissement du « climat de loi romaine » ? Et ce n’est point pour revenir au « climat de métaphysique grecque », c’est pour remonter aux sources de Palestine. Il y a dans chaque ministre de l’Eglise un pêcheur galiléen et un juriste romain : le premier, évangélique et populaire, plus sensible aux souffles moraux et à la loi de grâce ; le second, aristocrate, plus préoccupé de codifier le dogme et de « dire le droit ». Ce dernier, qui offusqua parfois le pêcheur de Tibériade, s’efface à l’heure présente ; il estime sans doute que les âmes écouteront plus volontiers son doux et simple aîné. L’Eglise peut se prêter à ces oscillations de l’esprit humain sans rien démentir de son unité ; elle a dans ses réserves séculaires des précédens qui la font toujours semblable à elle-même, soit qu’elle appuie vers l’Occident, soit qu’elle se retourne vers son berceau oriental. Dans quelque direction que nous porte le mouvement indéniable qui nous arrache à la gangue latine, nous retrouverons toujours devant nous une des antiques faces de l’Eglise. On n’en peut dire autant du système napoléonien : épave romaine, sa destinée est d’échouer à l’abandon, si les eaux qu’on entend monter refluent hors du lit latin.

Le chapitre de l’Ecole n’appelle pas les objections que j’ai cru devoir faire au précédent. Ici, Taine a trop beau jeu pour dénoncer le rouage de la machine le plus spécialement adapté à la formation de petits sujets impériaux, tels que les voulait Napoléon. La prétention était tyrannique ; du moins elle avait un sens : le biberon national distribuait seul à tous les Français en bas âge la pensée unique du maître qu’ils devaient servir. Mais qu’il continue de fonctionner dans les mêmes conditions après l’éviction de ce maître ; qu’il distribue au nom d’un État impersonnel, perpétuellement changeant, une doctrine flottante ou nulle, la philosophie préférée d’un chef de bureau et l’éducation selon la formule du cabinet qu’on renversera demain, — ceci touche presque au comique ; au tragique, si l’on examine les derniers résultats de l’effort imposé à la machine pour qu’elle répande sa manne sur tous les citoyens. Taine, enfant terrible de la science, juge ces résultats, et il passe en sévérité le réactionnaire le plus endurci. A propos de l’universalité de l’instruction, il dit : « L’instruction est bonne, non pas en soi, mais par le bien qu’elle fait, notamment à ceux qui la possèdent ou l’acquièrent. Si un homme, en levant le doigt, pouvait mettre tous les Français et toutes les Françaises en état de lire couramment Virgile et de bien démontrer le binôme de Newton, cet homme serait dangereux, et on devrait lui