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créanciers n’était pas, au reste, absolue. Non seulement le homestead (c’était le nom donné ace domaine réservé) demeurait aliénable de gré à gré avec le consentement de la femme ; mais le propriétaire conservait le droit d’hypothèque, et le homestead n’était à l’abri que des revendications des créanciers chirographaires. La clause parut ingénieuse, car, tout à la fois, elle permettait au propriétaire d’entreprendre de vastes opérations agricoles et elle le mettait à l’abri des conséquences extrêmes de ces opérations, en lui assurant, en cas de ruine, un foyer où il pourrait toujours se réfugier. Un grand nombre de jeunes États désireux d’attirer à eux les travailleurs agricoles l’adoptèrent également, et même les vieux États de l’Est (aux États-Unis un État est vieux quand sa création remonte à plus de cent ans) suivirent cet exemple en imposant au propriétaire la nécessité d’une déclaration. Les résultats ont été bons en ceci surtout qu’ils ont encouragé les grandes opérations agricoles. Mais aujourd’hui que la fièvre de ces opérations s’est singulièrement calmée aux États-Unis, la clause du homestead est beaucoup moins répandue. Dans un grand nombre d’États elle est, à l’heure actuelle, abandonnée ou ignorée[1].

Pendant que ce mouvement en recul s’opérait, la protection que cette clause pourrait assurer en France aux petits domaines frappait quelques bons esprits. Elle a été discutée dans plusieurs séances de la Société d’économie sociale. Cependant la matière y a fait l’objet d’un rapport approfondi de M. de Loynes, professeur de droit à la Faculté de Bordeaux, qui n’a pas dissimulé l’inconvénient qu’il y aurait, dans notre état social, à enlever, comme quelques-uns le proposent, au propriétaire d’un petit domaine le droit d’hypothéquer son bien. C’est ce système préconisé par les uns, repoussé par les autres, en tout cas depuis longtemps connu, qui vient d’être proposé de nouveau, non sans un certain éclat, comme un remède aux intolérables souffrances du paysan français. Assurément la chose mérite d’être discutée, mais il est impossible de ne pas faire tout d’abord remarquer combien ce remède vient directement à l’encontre de ceux que proposent d’ordinaire les amis et les représentais de l’agriculture. On veut généralement rendre aux agriculteurs l’emprunt moins onéreux, et pour cela ou cherche à le rendre plus facile. On s’est même demandé s’il n’y avait pas lieu, pour lui permettre de donner les récoltes en gage, de modifier les dispositions du code civil sur le nantissement et celles du code de procédure sur la saisie-brandon. Et c’est précisément à ce moment-là qu’on veut retirer au petit paysan

  1. Je tiens ces renseignemens très précis d’un jeune voyageur, M. Paul Bureau, qui s’est rendu aux États-Unis tout exprès pour étudier la question du homestead.