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peuvent invoquer contre le ministère actuel, c’est que le nouveau sénateur n’a rien trouvé de mieux, pour commencer les hostilités, que d’évoquer le vieux spectre noir, de souffler sur les querelles religieuses, à peu près éteintes, et qu’il aurait besoin de raviver.

MM. Brisson et Goblet n’ont pas fait autre chose, à quelques jours d’intervalle, lorsqu’ils sont intervenus à la Chambre dans un débat dont l’origine était une question adressée au ministre des cultes par M. Cochin. Cette interrogation avait pour objet un arrêté du maire de Saint-Denis, par lequel ce magistrat municipal interdisait l’exhibition, sur la voie publique, des objets servant au culte. Il entendait, non seulement, que le clergé ne pût, à l’avenir, accompagner les morts au cimetière, mais qu’il fût interdit de placer sur le cercueil un drap orné d’une croix. C’était violer la liberté de conscience, et M. Cochin demandait si le gouvernement, par l’organe du directeur des cultes, avait défendu la légalité de cet arrêté devant le conseil d’État, auquel il était déféré.

M. Spuller répondit à M. Cochin qu’il n’avait pas à entretenir la chambre des délibérations du conseil d’État, qui doivent rester secrètes ; il fit remarquer qu’il n’est nullement défendu aux prêtres d’accompagner les morts ; mais que le conseil d’État, ne pouvant examiner l’arrêté qu’au point de vue légal, avait dû reconnaître que le maire avait le droit de prononcer l’interdiction des cérémonies du culte sur la voie publique. C’est en effet, quels que soient les abus auxquels il puisse donner lieu, comme dans le cas présent de la ville de Saint-Denis qui ne compte pas plus de 800 protestans sur 40 000 habitans, le texte formel d’une législation en vigueur depuis les premières années de ce siècle. Si l’on se reporte à l’esprit dans lequel elle fut édictée, on reconnaît que la pensée des auteurs de ce texte a été de permettre aux maires de ménager la susceptibilité des minorités dissidentes, protestantes ou catholiques, — comme en certains départemens du midi ou de l’est, — en empêchant les manifestations confessionnelles de majorités qui, au cours de notre histoire, ont été plus d’une fois provocantes ; que c’était là tout simplement une loi de police, faite en vue de maintenir le bon ordre, en supprimant les causes qui parfois eussent pu servir de prétexte à le troubler.

Il en est de cette prérogative municipale comme de celle qui consiste à fixer la taxe du pain. Le maire, à son gré, en use ou n’en use pas. Dans un grand nombre de villes françaises la procession de la Fête-Dieu se déroule, aujourd’hui, avec la même ampleur qu’il y a deux siècles. Cependant les maires pourraient l’interdire partout, sans qu’il fût loisible au pouvoir central de modifier leur décision.

Qu’on pense de cette loi ce qu’on voudra, tant qu’elle subsiste, le conseil d’État, statuant au contentieux comme corps judiciaire, est tenu de l’appliquer. Quant au directeur des cultes, M. Dumay, pris à