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est pris par le théâtral, les répétitions générales des revues et des défilés, les inspections où l’on n’inspecte rien, trop de mouvemens compliqués et inutiles surchargent encore nos théories[1]. Mais le goût de la parade cède de plus en plus à l’instinct de la guerre. Le tir, les formations en ordre dispersé, le service en campagne, ont pris une prépondérance légitime. Or ces innovations tendent à supprimer du métier les parties dans lesquelles le soldat ne jouait qu’un rôle d’automate, et s’abrutissait à exécuter avec perfection des mouvemens qu’il ne comprenait pas. Elles ont développé les parties où le soldat fait l’emploi de son jugement, voit l’utilité immédiate de ses actes, les rend plus efficaces à mesure qu’il y met plus de sa pensée, et coopère par un effort raisonnable au succès des opérations. Cette instruction n’abêtit pas le soldat, elle sollicite, elle fixe, elle satisfait, elle étend son intelligence.

Et l’intelligence a modifié à son tour les rapports entre les chefs et la troupe. Depuis que tous les Français sont des soldats, la condition du soldat s’est relevée de toutes les supériorités sociales que l’uniforme recouvre sans les détruire. Les appels de conscrits, de réservistes, de territoriaux font sans cesse entrer dans les rangs, des hommes dont une notable partie est, par la culture de l’esprit, l’égale des officiers, et dont quelques-uns sont maîtres en l’un des mille savoirs dont se compose la science militaire. L’officier sent qu’il a aujourd’hui dans ces subordonnés des juges ; pour obtenir leur respect et leur confiance, le grade ne suffit pas, il faut le mérite. Les armes savantes mêmes n’imposent plus par le mystère de leur technicité : leurs arcanes sont familiers à plus d’un conscrit. L’officier d’artillerie ou du génie qui a sous ses ordres des ingénieurs sortis de l’Ecole polytechnique ou de l’Ecole centrale est obligé de mettre dans ses termes une exactitude, dans ses démonstrations une logique qu’il eût jugées superflues pour des ouvriers ou des paysans. De même l’officier de cavalerie, qui a, parmi ceux qui le voient et l’entendent, des hommes de cheval, est préservé de toute négligence dans ses leçons, dans sa tenue. Il n’est pas jusqu’aux conseils de guerre où les magistrats militaires n’étudient davantage les lois à la pensée d’avoir pour public des soldats avocats ou juristes. Il n’est pas jusqu’à l’intendance qui ne sente ses formalités, ses magasins et ses comptes sous l’œil exercé d’hommes qui dirigent, dans la vie civile, les comptabilités les plus importantes, les commerces les

  1. Veut-on connaître, dans leur résumé le plus bref, le plus clair, le plus méthodique, l’ensemble des simplifications qui faciliteraient le dressage des hommes et amèneraient, sur les champs de bataille, des troupes mieux en ordre et mieux en main ? Qu’on lise l’Étude sur la tactique de l’Infanterie, par M. le général Philebert. Journal des Sciences militaires, juillet 1888.