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fallait une alliance déclarée, publique, et la rupture officielle du gouvernement français avec la maison d’Autriche. Le résultat aurait été un agrandissement considérable de la France, mais peut-être aussi la translation de la couronne impériale sur la tête de Gustave-Adolphe et par suite la prépondérance assurée en Allemagne aux protestans. Est-ce cette perspective qui inquiéta la piété du Père Joseph ? On peut le supposer. Son biographe, Lepré-Balain, ne le dit pas. Il se borne à raconter que le capucin, seul dans le conseil, fit une opposition décidée au projet mis en délibération. Richelieu paraissait incliner vers l’avis favorable de la majorité. Il se retira cependant sans avoir conclu. Il passa une nuit sans sommeil. Le lendemain, à six heures du matin, il fit venir le capucin dans sa chambre, pour lui annoncer qu’il se rangeait décidément à son opinion. Point de rupture ouverte avec la maison d’Autriche ; point d’alliance publique avec la Suède ; les princes catholiques d’Allemagne protégés dans la mesure du possible contre les conséquences de l’invasion suédoise ; une politique d’attente au lieu d’une politique d’action : tel fut le programme adopté pour le moment.

Deux ans plus tard, Gustave-Adolphe ayant été tué à la bataille de Lutzen, le danger de l’empire protestant était écarté. Le projet momentanément abandonné fut repris. Le Père Joseph ne lui avait donné aucune place dans les instructions rédigées par lui pour le marquis de Feuquières envoyé en ambassade auprès de l’assemblée protestante d’Heilbronn. Il penchait encore vers l’ajournement, mais Richelieu, lui, était décidé. Il modifia les instructions préparées par le capucin. Feuquières fut chargé de réclamer la remise, entre les mains du roi de France, de certaines places du Rhin, à titre de gages qui seraient gardés jusqu’à la conclusion de la paix. Ce fut le point de départ de la réunion de l’Alsace à la France, régularisée quinze ans plus tard par le traité de Munster.

Il n’y a pas à regretter le retard apporté, sur l’insistance du Père Joseph, au projet d’occupation de la ligne du Rhin. Au commencement de 1631, la Lorraine était encore entre les mains du duc Charles qui convoitait lui-même l’Alsace et qui aurait fait de grands efforts pour empêcher la France de s’y établir. Or, il était dans les habitudes de Richelieu de ne s’avancer que pas à pas vers son but. Hardi et quelquefois aventureux dans la conception de ses projets, il apportait une extrême prudence dans leur exécution. Le sentiment des difficultés qu’il était exposé à rencontrer du côté de la Lorraine fut sans doute plus puissant sur son esprit que les scrupules religieux du Père Joseph. Il ne voulut pas