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l’influence du cardinal plus qu’il ne le soumet à la sienne. »

Comment l’affaire de la Valteline a-t-elle pu devenir une question européenne ? Comment l’Espagne et la France, la papauté, l’Allemagne et la République de Venise ont-elles été amenées à se passionner pour une vallée d’une lieue de large sur vingt-cinq lieues de long, pauvre pays destiné à perdre son éphémère célébrité ? Pour le comprendre, il faut se rappeler la singulière configuration que présentaient au commencement du XVIIe siècle les États de la maison d’Autriche. La branche espagnole de cette maison avait de magnifiques possessions, mais séparées les unes des autres : les Pays-Bas catholiques, la Franche-Comté, le royaume de Naples, le Milanais. Comment les défendre en cas d’agression ? Le royaume de Naples et les Pays-Bas étaient accessibles par mer ; mais la Franche-Comté, mais le Milanais surtout, étaient entourés d’ennemis. Pour secourir cette dernière province il fallait obtenir de la République de Venise une autorisation de passage ; or la Sérénissime République voulait bien s’allier à la France, voire au Grand-Turc ; elle répugnait à l’alliance espagnole : les intérêts étaient trop opposés. L’occupation de la Valteline affranchissait l’Espagne de la nécessité de s’entendre avec les Vénitiens ; elle lui donnait une route qui reliait le Milanais aux possessions de la branche allemande de la maison d’Autriche. Par ce couloir on pouvait faire passer dans la Haute Italie les bandes de Wallenstein. L’intérêt pour la cour de Madrid était évident, tellement évident qu’après s’être saisie de la Valteline par un coup de main, elle n’osa pas y laisser ses troupes de peur de provoquer un orage. Elle remit le précieux dépôt entre les mains d’Urbain VIII, certaine que le pape lui laisserait toujours le libre passage et persuadée qu’aucune puissance catholique n’oserait se mettre en état de guerre contre le saint-siège.

Richelieu, arrivé au pouvoir, n’était plus l’orateur du clergé qui, aux États généraux de 1614, avait soutenu la suprématie des papes sur les souverains. C’était maintenant le ministre du roi de France, décidé à ne rien abandonner des droits de son maître et des intérêts de son pays. Déjà, pendant son premier ministère, alors qu’il n’était pas encore le chef du conseil, il inscrivait cette déclaration, remarquable sous la plume d’un prêtre, dans des instructions adressées à Schomberg : « C’est une pure calomnie de dire que nous soyons tellement romains ou espagnols… les diverses créances ne nous rendent pas de divers Estats ; divisez en foy, nous demeurerons unis en un prince au service duquel nul catholique n’est si aveuglé d’estimer, en matière d’estat, un Espagnol meilleur qu’un Français huguenot… Autres sont les