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promoteurs de cette mesure, de faire atteindre au quintal de froment le cours de 25 francs, seul « rémunérateur » pour les propriétaires.

Il y a juste cent ans, à pareille époque, la Convention édictait pour les prix des denrées, qui coûtaient trop cher, un maximum, du reste peu observé ; aujourd’hui nous sommes surtout occupés de fixer un prix minimum pour plusieurs de ces mêmes denrées. M. Méline ne nous a pas caché qu’en faisant grâce d’un franc sur le droit nouveau, — il a fini par se contenter de 7 francs au lieu des 8 francs que la commission demandait tout d’abord, — il entendait que cette faveur lui permit d’être plus exigeant demain « pour divers autres produits, et notamment pour le vin qu’il va falloir protéger avec la plus grande énergie « N’oublions pas que le droit de douane sur les vins dépasse actuellement 13 francs par hectolitre ; cependant l’on assure que les vins du Midi ne se vendent pas plus de 15 francs. La protection, pour les vignobles de cette région, atteint donc 90 pour 100 de sa valeur.

Nous n’avons pas la prétention de résumer ici en quelques lignes une discussion qui a duré des semaines, à laquelle les esprits les plus distingués ont pris part, et qui a provoqué d’excellens et même de magnifiques discours, parmi lesquels nous citerons ceux de MM. Léon Say, Jules Roche, Charles Roux et Alfred Naquet. Mais l’un des argumens protectionnistes, pour obtenir le relèvement du droit, était que, le pain ne suivant pas exactement les fluctuations du blé, la surtaxe ne le ferait pas renchérir. On n’a pas été jusqu’à prétendre qu’elle le ferait diminuer, comme ce candidat « tout à tous » qui se prononçait, dans ses circulaires électorales, pour le grain cher et le pain à bon marché.

Il est très vrai que le pain ne se ressent pas autant qu’il devrait du bas prix actuel du grain ; mais chacun sait que jamais les variations de prix de la matière première ne peuvent avoir une répercussion proportionnelle sur la matière fabriquée. Le prix du pain ne se compose pas seulement du prix du blé, mais aussi des frais de mouture et des frais généraux de panification, loyer, main-d’œuvre et bénéfices des boulangers. La diversité de ces frais généraux qui, à Paris notamment, sont énormes, contribue à diversifier le prix du pain dans les principales villes de France. On comprend que, lorsque le cours du blé hausse ou baisse de 10 pour 100, les frais généraux, dont nous parlons, ne se trouvent pas du même coup augmentés ou diminués dans une proportion égale de 10 pour 100, et que ces élémens fixes du prix de revient d’un kilogramme de pain atténuent les changemens de l’élément variable qui est le prix du grain. C’est du reste le rôle du commerce de donner aux prix de la vente en détail une immobilité relative, d’endosser les pertes ou de s’approprier les gains, suivant les années, par une sorte de jeu de pendule compensateur vis-à-vis du public.

Il entre du reste, dans le commerce de la boulangerie, bien des frais inapparens dont il faut tenir compte : le crédit par exemple,