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visent à la restauration pour son compte de l’Empire d’Orient agrandi. La Russie, par le nombre de ses sujets, représente à elle seule presque toute l’orthodoxie. Elle tient donc à prendre et en réalité elle a pris le rôle de protectrice de l’orthodoxie, qu’elle compte, dans l’avenir, englober tout entière. L’idée d’une mission divine confiée à la Sainte Russie a fini par pénétrer dans l’âme profondément croyante et mystique du peuple russe. L’affranchissement des orthodoxes esclaves, la délivrance du Saint-Sépulcre tombé aux mains des infidèles, par suite la lutte contre l’islamisme et la conquête de l’Empire ottoman, tel est le programme de l’orthodoxie russe, parfaitement conforme aux aspirations nationales et au développement normal de la Russie.

Le catholicisme serait certainement impropre à l’accomplissement de cette œuvre nationale, et les peuples d’Orient en ont la conscience très nette. Sans parler de l’attachement de nations à une religion qui a sauvé les unes et qui a donné aux autres des siècles de gloire, on ne croit pas en Orient, et avec raison, que le catholicisme eût pu maintenir sous la domination musulmane les nationalités, ou puisse maintenant les affranchir et les développer complètement. Le catholicisme est, par essence, opposé à l’idée de nationalité ; et si le principe d’une communion métaphysique de l’humanité tout entière par-dessus les races ou les limites d’État peut séduire par son élévation et sa beauté les âmes occidentales, ce principe ne convient pas encore aux aspirations légitimes des peuples de l’Orient. Le catholicisme n’eût pas conservé l’hellénisme sous la domination ottomane ; il a des intérêts dans le monde entier et l’hellénisme n’eût représenté pour lui qu’un petit fragment de la catholicité. Il fallait, pour sauver l’hellénisme, un patriarche hellène qui, en réalité, fût hellène avant d’être patriarche et dont l’unique préoccupation fût la défense de l’hellénisme. On en pourrait dire autant des autres nationalités chrétiennes de l’Orient : les Bulgares se sont séparés du patriarcat parce que le patriarcat les menaçait dans leur existence nationale, comme les Grecs avaient appelé Mahomet II, cinq cents ans plus tôt, parce qu’ils craignaient d’être absorbés par les Latins. Quant aux Russes, ils sont trop pénétrés de la mission de leur Église et trop attachés aux formes mêmes de cette Église pour jamais songer à s’en détacher.

Les peuples, pas plus que les gouvernemens, n’ont intérêt à l’Union, ni ne la souhaitent. Aussi faut-il reconnaître que la question n’émeut personne en Orient, qu’elle n’est discutée par personne, qu’elle n’est posée par personne. Le catholicisme n’a point pénétré en Orient où il a laissé, depuis les croisades, le souvenir d’un ennemi de la race autant que de la religion, et il est douteux