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sont beaucoup répandues en Allemagne, grâce à l’apostolat de deux hommes dont les idées et les systèmes diffèrent, d’ailleurs, Schulze-Delitzsch et Raiffeisen, en Italie aussi par l’apostolat de MM. Luzzati, Vigano et quelques autres. Elles gagnent la Suisse et un peu la France.

Pour bien comprendre ce mouvement et la portée qu’il peut avoir, quelques considérations sur son origine et son promoteur seront utiles. Schulze naquit en 1808 à Delitzsch, dans la Saxe prussienne ; de là le nom qu’il joignit au sien. Il entra dans la carrière judiciaire et en suivit les premiers échelons. Il fut administrateur du Conseil de justice de Delitzsch. Témoin des difficultés qu’éprouvaient les artisans et les petits fabricans à s’approvisionner en gros, il eut l’idée de substituer, pour cet objet très limité, l’association à l’action individuelle. Il fonda ainsi, dès avant 1818, deux sociétés pour l’achat des matières premières. Puis son attention se porta, sur l’utilité, d’une façon plus générale, d’améliorer les conditions du crédit pour ces couches modestes d’entrepreneurs et même pour les ouvriers qui n’en trouvaient que, sous la forme la plus coûteuse et la plus primitive, chez les détaillans. Il fonda ainsi, de 1852 à 1855, sept comptoirs d’avances ou sociétés de crédit populaire. Attaché de plus en plus au développement de son idée, il avait fait éclore assez d’institutions de ces deux natures pour que, en 1859, ces banques et ces sociétés constituassent le Congrès des associations allemandes. Cette assemblée se tint chaque année pour échanger des renseignemens, s’entendre sur des points d’organisation, discuter des questions d’intérêt commun. Tant par indépendance de caractère que pour se consacrer entièrement à une œuvre chaque jour grandissante, Schulze quitta le service public. Il créa un centre pour diriger le mouvement général, à savoir, l’Agence des Associations allemandes, dont l’administration lui fut confiée. Moyennant une allocation de 2 pour 100 sur les bénéfices nets des affaires comme indemnité et pour couvrir les frais ordinaires de bureau, il s’engagea à n’accepter aucun emploi public ou privé.

Les sociétés qu’il appela à l’existence se multiplièrent rapidement ; l’un des disciples de Schulze-Delitzsch, M. Rampal, portait le nombre des sociétés coopératives allemandes de toutes sortes à 2349 en 1868, 3602 en 1872. Sur ce nombre, d’après M. Rampal, il y avait 2221 sociétés de crédit. Le total de leurs opérations était alors évalué à plus de 2 milliards ; le capital social à 120 ou 150 millions de francs ; l’argent confié par des tiers à près de 400 millions de francs ; le nombre des membres à 1200000[1].

  1. Cours d’économie politique à l’usage des ouvriers et des artisans, par Schulze-Delitzsch, traduit et édité par Benjamin Rampal ; Guillaumin éditeur, 1874.