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ils furent forcés de regagner Saigon après quelques mois d’absence.

Encore plus tard, divers fonctionnaires, et, en particulier, le capitaine Luce, s’occupèrent, à Hué, d’éclaircir sur quelles bases reposaient les empiétemens siamois, et d’étudier la position exacte de leurs postes. Le résultat des recherches fut que les rois de Siam n’avaient aucune raison, aucun droit, d’agir comme ils le faisaient, et qu’il n’était que temps de le leur faire savoir. On temporisa encore, sans songer à profiter des forces considérables tant de terre comme de mer, envoyées au Tonkin après la guerre avec la Chine, pour sa pacification définitive. On était allé à Pékin avec moins de soldats ; quels résultats n’eût-on pas obtenus dans l’Indo-Chine avec l’armée qui s’y trouvait alors !

M. Pavie, tout d’abord simple agent de l’administration des postes et télégraphes, et sur lequel l’attention publique s’était portée avec intérêt, par suite de la ligne télégraphique terrestre qu’il avait réussi à construire de Battambang à Bankok, fut nommé, vers 1887, vice-consul à Luang-Prabang. Devant cette ville, le Mékong, comme heureux de sortir des défilés montagneux qui l’enserrent en amont, et comme pour se préparer à lutter en aval contre les rapides qui l’attendent, s’étale en un lac calme et limpide. On y voit glisser un nombre infini de barques légères ; des filets de pêche étendus sur une forêt de bambous y sèchent continuellement sous un soleil ardent, des radeaux en construction et d’autres radeaux chargés de thés et de bois précieux s’y préparent au départ.

Cette ville joue un trop grand rôle en ce moment dans les revendications de la France, pour que nous n’en donnions pas le tableau qu’en a fait M. de Carné.

« Sans aller comme Mgr Pallegoix, écrit notre compatriote, jusqu’à donner 80 000 âmes à Luang-Prabang, je serais porté à trouver le chiffre de 7 à 8000 que lui accorde M. Mouhot[1] un peu inférieur à la vérité. Du sommet d’un monticule qui sert de piédestal à une pyramide élégante, on voit s’étendre au-dessous de soi une plaine couverte de chaumes ombragés par une forêt de cocotiers. De cet observatoire, où l’œil embrasse à la fois tout le panorama de la ville, on entend cette rumeur confuse qui s’élève de tous les centres de l’activité humaine et qui ressemble, selon l’intensité du foyer qui le produit, soit au bruit sourd des flots mourant sur la grève, soit à la forte clameur des vagues poussées contre le roc par la tempête. Pour l’oreille du voyageur

  1. Savant naturaliste, mort à Paclaï, près Luang-Prabang, en 1860.