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la même manière que le maréchal de Mac-Mahon, porté au pouvoir par un parti hostile au régime républicain, et qui n’a jamais passé pour être personnellement très favorable à ce régime, a néanmoins contribué à l’affermir, à lui donner dans le monde un aspect tout différent de celui qu’il avait eu lors de précédentes tentatives : rassurant les inquiétudes, inspirant la confiance, et tombant finalement, au milieu de l’ingratitude universelle, en laissant la République beaucoup plus forte et beaucoup plus respectée, en 1879, qu’il ne l’avait reçue en 1873.

Quatorze années ont passé depuis lors, éteignant les ressentimens, apaisant les rancunes. Comme ces visages qui, tourmentés par l’agonie, reprennent, aussitôt que la mort a fait son œuvre, la sérénité de la vie et retrouvent quelques-uns des traits de la jeunesse, la carrière du maréchal, maintenant qu’il n’est plus, revit tout entière dans la mémoire nationale. Soustraite aux haines des partis, elle est apparue très pure, très belle, et, comme d’habitude, ses adversaires lui ont rendu hommage.

Cette longue vie militaire d’un homme que l’on avait pu appeler le « Bayard moderne » sans que personne trouvât l’éloge excessif, tellement sa bravoure était célèbre, fut sans reproche comme elle avait été sans peur. Longtemps associé aux triomphes du pays, en Afrique, en Crimée, en Italie, le jeune sous-lieutenant légitimiste qui faisait partie en 1830 de l’expédition d’Alger avait eu la sagesse de ne pas « briser son épée », comme on disait alors. Il était dans sa destinée de servir avec honneur tous les gouvernemens, sans qu’on puisse dire qu’aucun de ces gouvernemens ait joui pleinement des sympathies du maréchal, pas même le sien. Car ce n’était pas être bien bon courtisan, sous sa présidence, que de crier : « Vive la République ! »

Colonel en 1848, sans qu’il y eût un seul de ses grades qu’il n’eût conquis à la pointe de l’épée, — à Mouzaïa, au col des Oliviers et dans l’expédition de Biskra, — plusieurs fois blessé et cité à l’ordre du jour, il était de cette race héroïque des guerres anciennes où nos pères, selon le mot de leurs adversaires de l’époque, « allaient à la mort comme s’ils devaient ressusciter le lendemain ». Nommé général de brigade par le gouvernement provisoire et divisionnaire par l’empereur en 1852, il emportait à Malakof cette redoute fameuse, sur laquelle, bien que l’on s’attendît à chaque instant à la voir sauter, il déclarait nettement sa volonté de se maintenir, en des termes que l’histoire traduisait par le légendaire : « J’y suis, j’y reste. » Quelques années plus tard, il remportait en Italie la victoire de Magenta, qu’on lui érigeait en fief, avec le bâton de maréchal.

Ce dernier succès était uniquement dû au coup d’œil de Mac-Mahon, à sa capacité stratégique : car il n’était pas seulement sur le terrain un hardi capitaine, mais aussi un très habile général. Et il y aurait une grave injustice à lui refuser les qualités éminentes de l’homme de