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de « pêche pélagique », et cela est facile les jours de gros temps. La tempête, dans la Méditerranée orientale, se présente presque toujours par les vents de S.-E. L’île Grosse et la jetée forment au pied même du laboratoire une nappe tranquille, et là, poussés par le flot, se rassemblent les êtres pélagiques les plus variés : en une heure on peut recueillir un tonneau de méduses, de salpes, de doliolum, de cymbulies, de beroës, d’agalmas, de diphyes. Sur l’incroyable transparence de la masse vivante, bientôt trop tassée, court à peine un frisson nacré que produisent les palettes des cténophores, ou s’étale la douce teinte améthyste de certaines méduses. Çà et là, des agalmas signalent la chaîne invisible qu’ils forment par une série de points rouges éclatans. Dans les bacs tous ces êtres plus à l’aise palpitent comme des ailes, et la nuit, dans la baie, on voit à fleur d’eau luire leurs corps phosphorescens.

L’eau qui circule dans l’aquarium vient d’un vaste réservoir creusé dans le rocher, et lui-même est périodiquement rempli par une pompe à vapeur. La machine en même temps actionne un dynamo, et grâce à des accumulateurs on possède la lumière électrique pour l’éclairage du laboratoire et en particulier de l’aquarium. Sans insister sur le bel effet des bacs à cette lumière intense, on sent de quel prix est ce dispositif par exemple pour les études d’embryogénie, dont on peut suivre les phénomènes le jour et la nuit.

Jusqu’au printemps de cette année, le laboratoire Arago ne possédait, à part les canots à rame pour explorer les environs, qu’un bateau à voile — Le Lacaze-Duthiers — Construit avec le produit d’une souscription couverte dans Banyuls même ; un très beau bateau d’ailleurs, ponté, monté par trois hommes et capable de tenir la mer. Comme il n’y a pas de marée, la plus grosse partie des animaux étudiés doit être recueillie à la drague. Pour draguer, il faut du très beau temps : le calme plat est l’idéal pour cette opération ; idéal irréalisable, puisque alors le bateau à voile ne peut quitter le port. Inutile d’insister bien longuement après cet aperçu sur la violente envie de chaloupe à vapeur que peut concevoir un directeur de station méditerranéenne.

Depuis le mois de mars 1893, le promontoire de Fontaulé abrite un joli yacht aménagé pour la manœuvre de la drague au treuil à vapeur. Il peut sortir et travailler par le calme, et il est d’ailleurs assez vaillant sur la houle pour ne point craindre d’être au large surpris par un coup de vent. Le laboratoire Arago est pour les embarcations aussi bien pourvu maintenant que la station de Naples. La science peut fonder les mêmes espérances sur le Roland que sur le Johannes Müller, et le prince Roland Bonaparte,