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comédie de Molière, « qui est comme chacun sait pour faire rire, » et l’on s’amuse fort ; mais la fille, regardant la mère, se met à hausser les épaules, et avec indignation : « Maman, s’écrie-t-elle, avez-vous jamais entendu quelque chose de plus fou ? Il faut que les hommes fassent bien peu d’état de leur raison pour s’avilir ainsi sur des verbiages et des babioles ! » Par son travail et son économie, le père de notre chroniqueur parvient à tripler son bien ; point de pommes de terre, mais le blé, le fruitage des vaches, les poulains, donnent 70 à 80 louis d’or de profit chaque année ; on a même de l’argent prêté. Et cependant de terribles orvales anéantissent la récolte : en 1755, 1758, 1759, 1778, il y eut des bises froides au printemps, des pluies continuelles jusqu’en automne, les blés furent gelés et l’argent fort rare ; au mois d’août 1788, un orage épouvantable surprend les moissonneurs, jette sur les champs quinze pouces de grêle, et, « trois jours après, on aurait pu encore y mener un traîneau. » Pour améliorer les sols ingrats, on enlevait la pelisse de la terre, on la séchait, on la brûlait ; ainsi préparée, elle donnait, parait-il, « un beau fruit dès la même année. » Les hommes exercent tous les métiers, charrons, menuisiers, charpentiers ; les femmes se font tailleuses, tisserandes, modistes, fabriquent une étoffe chaude, mais si raide, si épaisse, qu’une jupe ressemblait à une cloche ouverte par le haut. La fête patronale, le jeu de quilles, la chasse ou plutôt le braconnage, voilà les grandes distractions, seulement les ordonnances sont fort sévères, et, pour avoir tué quatre cailles, un chasseur est condamné à 1,500 francs d’amende, payables dans la huitaine, sous peine de bannissement : il fallut aller à Paris pour obtenir qu’elle fût réduite à 300 francs. Peu de voyages ; aller à Besançon semble une affaire d’État, mais les processions, les pèlerinages à Notre-Dame de Montpetot, à Saint-Pie-de-Doubs, au Grand-Crucifix de Pontarlier, surtout à Notre-Dame d’Einsiedeln en Suisse, sont très courus, et l’on se montre fort religieux, à condition toutefois que le curé ne mette pas le nez dans les affaires municipales. Le paysan comtois est processif, assez porté à s’imaginer que le bon droit tout sec ne suffit guère, qu’il lui faut des arcs-boutans ; d’où l’habitude de porter aux juges « des paniers de beurre et d’autres cadeaux pour adoucir et faire tourner le pivot… mais ils tombaient toujours à côté et ne faisaient rien. » Quant au programme de l’école, il comprend lecture, écriture, arithmétique, plain-chant ; les parens ont dit à l’enfant qu’il y fait bien bon, qu’on s’y plaît comme à des noces, et, comme ils habitent une ferme isolée, le pauvre petit subit en réalité le régime