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d’aller bientôt à Washington, et, avec vous pour me prêter mainforte, j’y serais avant la fin de cette année-ci. Comme femme d’un député au congrès, vous tiendriez, j’en réponds, le haut du pavé. Je suis déjà riche, c’est-à-dire que je peux satisfaire tous vos désirs ; c’est une honte qu’une intelligence et une beauté telles que les vôtres soient cachées ici parmi des gens incapables d’en faire cas. Vous brilleriez à New-York et à Washington.

Comme, au seul nom de New-York, elle le regardait avec attention, il ajouta, mû par le pressentiment d’un triomphe prochain : — Miss Lou, je vous aime, vous l’avez compris, car vous comprenez tout. Vous savez que je ne suis plus jeune, mais je peux être plus dévoué, plus fidèle qu’un jeune homme et (ici il glissa un bras autour de sa taille) toutes les femmes ont besoin d’être aimées. Voulez-vous me laisser vous aimer, Lou, comme ma femme ?

Nerveusement la jeune fille lui échappa ; peut-être cette promenade en buggy lui rappelait-elle une autre promenade avec George ; peut-être cette caresse lui faisait-elle sentir l’énorme différence entre aujourd’hui et ce temps-là. Quoi qu’il en fût, lorsqu’elle répondit, ce fut avec une complète présence d’esprit :

— Je vous crois, et j’ai de l’amitié pour vous. Mais je n’ai pas envie de me marier, — pas encore, dans tous les cas. Assurément cela me plairait de vous aider, et je voudrais vivre à New-York, mais… mais je ne peux pas me décider tout de suite. Attendez. Si vous m’aimez vraiment, ça ne sera pas bien dur !

— Si fait, répondit Barkman, c’est dur, très dur, de rester dans l’incertitude… Mais, ajouta-t-il après une pause, je ne veux pas vous presser, j’ai confiance en vous, je ferai tout ce que vous me direz de faire.

Sa pénétration de la nature de Lou se montra dans cette dernière phrase ; elle le conduisit à cacher l’amer désappointement que lui causait une résistance imprévue.

— Eh bien donc, poursuivit miss Conklin, attendrie par son humilité, vous retournerez ce soir à Wichita, et quand vous reviendrez après-demain, je dirai : oui ou non. Cela vous va-t-il ?

Le regardant de bas en haut, elle sourit.

— Oui, répondit Barkman, c’est mieux que ce que j’avais le droit d’attendre. Une espérance donnée par vous est plus qu’une certitude venant de toute autre femme.

Dans cette disposition, ils atteignirent la maison des Conklin. Lou descendit devant la porte, elle ne voulut pas même permettre à Barkman d’entrer ; il devait repartir tout de suite, mais, quand il reviendrait, elle irait à sa rencontre. Avec un sourire soumis, il leva son chapeau et tourna l’attelage vers Wichita, en donnant juste le temps à son domestique de monter dans le buggy. Somme