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aux amateurs de réformes, elle aurait quelque attrait pour tous ceux qui ont le goût des études historiques. Sans avoir l’ambition de combler cette lacune, nous voudrions essayer de préciser les traits principaux de cette histoire.


I.

Dans un pamphlet où il célèbre l’affranchissement de la justice, Camille Desmoulins reporte à la nuit du 4 août la suppression de l’ordre des avocats : « c’est cette nuit enfin que la justice a chassé de son temple tous les vendeurs pour écouter gratuitement le pauvre, l’innocent et l’opprimé ; cette nuit qu’elle a détruit et le tableau, et la députation de l’ordre des avocats, cet ordre accapareur de toutes les causes, exerçant le monopole de la parole, prétendant exploiter exclusivement toutes les querelles du royaume. Maintenant, tout homme qui aura la conscience de ses forces et la confiance des cliens pourra plaider. »

Il ne fut cependant point question des avocats dans cette nuit célèbre où fut consommée la ruine de l’ancien régime. C’est un décret du 2 septembre 1790 qui prononça leur arrêt de mort. Oh ! bien incidemment et à propos… de costume. Ce décret a, en effet, pour objet de régler le costume des juges : il les affuble d’un habit noir et d’un chapeau rond relevé par le devant et surmonté d’un panache de plumes noires, accoutrement qui, paraît-il, faillit rendre ridicules les nouveaux magistrats. Et, après s’être occupé des commissaires du roi et des greffiers, après avoir doté les huissiers d’une chaîne dorée et d’une canne à pomme d’ivoire, le décret se termine ainsi : « Les hommes de loi, ci-devant appelés avocats, ne devant former ni ordre ni corporation, n’auront aucun costume particulier dans leurs fonctions. » D’un trait de plume, par cette seule phrase brève et dédaigneuse, la Constituante supprimait une institution plusieurs fois séculaire, aussi antique et aussi vénérable que les parlemens, et à laquelle son glorieux passé méritait un trépas moins obscur.

Ce n’était pas tout de démolir, il fallait reconstruire ; et il était urgent d’organiser la défense devant les nouvelles juridictions. Les parlemens, les présidiaux, bailliages et autres corps judiciaires venaient en effet de disparaître pour jamais ; les nouveaux juges, élus à deux degrés par les assemblées primaires, étaient à la veille d’entrer en fonctions. Quels seraient leurs auxiliaires ? Qui allait remplacer les avocats ? Sur les ruines de l’ordre allait-on rétablir un corps d’hommes de loi, ayant subi certains examens et offrant au moins quelques garanties de capacité professionnelle ?