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coupoles, s’enlevant sur le ciel qui est léger, couleur d’or pâle, pareil aux auréoles byzantines. La rue est silencieuse. Rome fait peu de bruit. Oh ! comme alors on subit l’ensorcellement de cette ville unique, comme on comprend les peintres, ou les âmes fatiguées et rêveuses, qui sont venues à Rome pour trois semaines, et ne l’ont plus quittée !

Vraiment, j’ai senti, à la revoir, que j’aimais Rome pour la première fois. Mais dire pourquoi et de quels élémens cet amour est formé, je ne le saurais pas. Il y entre, comme dans tous les amours, une part d’inexplicable.


Je crois que l’accueil des Romains n’y est pas étranger. Ils ont une hospitalité naturelle, à la fois familière et réservée, que donne la longue habitude de recevoir. Chez les grands surtout, on rencontre une sorte de sentiment très particulière. Ils ne font aucune différence entre les étrangers. Italiens du nord ou du midi. Allemands, Français, Espagnols, Russes ; Anglais, sont égaux devant la belle indifférence accueillante du Romain. Ils peuvent venir. On comprendra leur langue, leur nature, leur esprit ; on saura suffisamment l’histoire contemporaine de leur pays pour les entretenir de la patrie absente ; on ouvrira devant eux, avec la même bonne grâce, les salons qui sont des galeries et les galeries qui sont des musées, et chacun pourra se croire à peine sorti de chez soi, dans ce monde où tous les mondes passent. Cette égalité de traitement cache peut-être un fond d’orgueil hérité des anciens maîtres de la terre, une conviction de supériorité que les luttes des peuples plus jeunes, leurs succès, leurs conquêtes, les vicissitudes des fortunes particulières, la fortune même de Rome, ne sauraient atteindre et intéressent à peine. Elle est agréable cependant ; et, bien qu’elle n’en soit pas un, elle flatte comme un hommage.

Rien n’étonne, au surplus, comme de rencontrer des gens qui ne sont étonnés de rien. J’imagine que nous sommes un peu, pour des Romains, comme des caravanes chargées de leur apporter non plus le tribut en argent, mais les nouvelles, une idée des affaires et du train du monde. Vous croyez leur apprendre quelque chose. Mais ils en savaient déjà la moitié, ou bien ils s’en doutaient. Les caravanes précédentes les avaient préparés. Ils avaient, avant vous, vu des buzzurri de votre nation, ou d’une autre, grâce auxquels ils étaient renseignés. Aucune ville n’étant plus traversée que la leur, ils auraient une notion de tout sans même voyager. Et ils voyagent pour la plupart. Et ils ont tous des amis ou des parens dans les capitales, tous des revues, des journaux, et le don de divination, qui vient d’une longue pratique des hommes.