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leur œuvre d’élimination de l’ancien personnel, Turcs, Orientaux chrétiens, aventuriers européens, survivans du condominium. — « Les nouveaux fonctionnaires s’introduisent sans bruit, sans scandale, et prennent les places lucratives ou importantes, en laissant, jusqu’à nouvel ordre, celles dont ils ne veulent pas encore ; ce personnel est censé au service du khédive, et, en effet, celui-ci le paie, mais en réalité il est au service de l’Angleterre. Ordinairement, on attend qu’une place soit vacante pour y introduire un Anglais ; dans ces conditions, tout est parfaitement normal ; c’est le khédive qui nomme ; comment trouver mauvais qu’il prenne qui bon lui semble, fût-ce un Anglais ? Parfois cependant, à ce que je me suis laissé dire, la patience ne va pas jusqu’à attendre la vacance naturelle ; sous prétexte d’économie, on supprime d’abord la place convoitée, et le titulaire, devenu ainsi inutile, est congédié très poliment. Quelque temps après qu’il a déguerpi, on reconnaît que le service est surchargé de besogne et qu’un fonctionnaire de plus est indispensable ; on le nomme donc, Anglais bien entendu, et on lui rend peu à peu les attributions du fonctionnaire évincé. Admirez comme cette introduction de l’Angleterre se fait doucement et sans à-coups. »

Voilà qui est parfait, mais non pas pour tout le monde. Il nous reste à interroger M. d’Harcourt sur les chances que nous conservons de reprendre notre plate-bande dans le jardin que nous avions défriché, créé, mis en valeur depuis un siècle, et d’où nous nous sommes évadés un beau jour, à la suite d’une panique politique incompréhensible. Sur ce point délicat, je retrouve l’exquis ironiste qui nous faisait, dans son premier livre, de si piquans tableaux de la vie parlementaire. — « Je dois avouer, en ce qui me concerne, que mes électeurs, dans l’arrondissement de Falaise, étaient absolument indifférens au khédive, au ministère de Nubar-Pacha et au condominium. Le gouvernement, en se désintéressant de l’Égypte, a donc certainement conformé sa politique aux intentions des électeurs ; en le jugeant avec les principes nouveaux, il est irréprochable… En définitive, il faut souhaiter de voir arriver le moment où tous les électeurs de nos campagnes auront assez étudié la question d’Égypte pour la connaître à fond ; mais en attendant que ce moment arrive, puisque c’est d’eux que doit venir la direction de notre politique étrangère, prenons notre parti avec le plus de philosophie que nous pourrons du rôle peu glorieux qui est devenu celui de la France… Est-ce à dire qu’il soit absolument impossible que notre influence renaisse jamais en Égypte ? Assurément non ; il suffirait, en effet, que de l’autre côté de la Manche on eût notre gouvernement et que, de notre côté, nous prissions le leur ; or on