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l’empreinte de son génie, d’après ces Loges, ravissantes de légèreté et d’élégance en dépit du grossier vitrage qui les dépare de nos jours[1]. Toutefois le principal objectif du maître Donato dans ses travaux du Vatican, ce fut un petit pavillon (belvédère) construit jadis par le pape Nicolas V, en avant du palais pontifical au nord, vers les hauteurs, et qu’Innocent VIII avait rebâti en 1490, en le faisant orner de fresques par Mantegna et Pinturicchio[2]. Bramante réunit ce pavillon à la résidence pontificale en y englobant toute la vallée en pente (de 300 mètres sur 70) qui l’en séparait. Il partagea cette vallée en deux cortili dont le plus haut formait un jardin (giardino della pigna) ; la courbasse et inclinée, dans laquelle on descendait de la terrasse supérieure par un vaste escalier, avait des rangées de sièges où pouvait prendre place un public de spectateurs, et était fermée au sud par un hémicycle : c’était le teatro ; là avaient lieu les tournois, les carrousels, les combats de taureaux et autres divertissemens de ce genre. Si étrange que puisse nous paraître à présent un pareil hors-d’œuvre dans la demeure du successeur des apôtres, il est juste de reconnaître qu’il ne blessait en rien alors le sentiment des fidèles : Nicolas V y avait déjà pensé dans le temps ; aussi tard que sous Sixte-Quint, il est encore fait mention des jeux et tournois au Belvédère[3]. Des arcades continues, à trois étages d’abord et ensuite à un seul, communiquant tout droit avec les appartemens pontificaux, longeaient la cour du carrousel et le jardin des côtés ouest et est : le Colisée et le théâtre de Marcellus, avec leurs trois ordres de pilastres superposés, ont servi de modèle ici, comme aux Loges, dans la construction des arcades ; pour le côté nord, l’artiste s’est inspiré des Thermes : une abside colossale, haute de vingt-cinq mètres, il nicchione, y fermait, sur le point le plus élevé de la pente, l’immense préau de tout l’intérieur. Rome, dit Vasari, depuis l’antiquité, n’avait pas vu une conception aussi admirable.

De cette conception, il ne reste plus debout que le seul nicchione : la cour du carrousel a disparu sous les constructions postérieures de la Biblioteca et du Braccio nuovo ; les arcades ont été bouchées (on peut encore suivre par endroits leurs élégans profils dans les murs) ; les corridors nus, froids et monotones des

  1. Il protège, dit-on, les peintures de Raphaël, Giovanni da Udine, etc. ; mais les carreaux ne pourraient-ils être, dans tous les cas, moins petits et déplaisans ?
  2. On voit quelques traces de ces fresques dans l’ancienne chapelle du pavillon, actuellement la Sala dei busti.
  3. Voyez, entre autres, la gravure conservée à la bibliothèque Corsini et représentant un pareil tournoi en 1565 ; elle donne l’idée du cortile de Bramante, et a été consultée par Bunsen, Beschreibung, II, I, p. 235.