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mes yeux ? Ces silhouettes de montagnes, — là-bas, derrière la ville, l’ondulation de ce plateau pierreux où va tomber ce soleil de Palestine, tout cela est éternel, rien ne peut avoir changé.

Ce pays est vraiment triste jusqu’à la mort. Terre tourmentée qui monte en vagues pétrifiées, dos jaunis, tout écaillés, terre usée, rongée par les hommes et qui survit pourtant aux rêves et aux prières de tant de générations. Là-haut, tout près, de l’autre côté de la profonde fissure, la dominant et l’opprimant, serrée dans ses remparts, la Ville muette, « sans fumée, » figée dans le silence. Tout cela précis, immuable à jamais. — Nulle autre vie dans ce paysage que celle de la lumière que l’on voit au ras du sol, au fond des creux, frémir d’une petite vibration pressée, constante, comme si le soleil aspirait la dernière âme de cette terre, pour laisser le seul squelette plus sec et plus rigide encore.

Le soir, tout est plus morne encore ; l’impassible dureté de toute cette nature épouvante le cœur, le paralyse d’un poids plus accablant. Comme on comprend que, laissés seuls, — pauvres hommes périssables de qui s’était éloigné le maître, — les disciples aient dormi de tristesse, se soient anéantis dans cette langueur inerte qui est le dernier fond de la mélancolie, lorsqu’à travers la noirceur du sommeil on sent encore souffrir son cœur ! Comme on comprend que l’Idéaliste ait eu l’amère sensation de l’éternelle indifférence, de cette indifférence fixe que le monde des astres écrit dans la noirceur de l’espace, à l’heure où, l’illusion prochaine de notre ciel terrestre s’étant évanouie, le précis Univers se révèle en silence ! — Et comment n’aurait-il pas gémi dans sa solitude d’homme ? Comment n’aurait-il pas douté de son sacrifice, comment n’aurait-il pas appelé son Père céleste ?


ANDRE CHEVRILLON.