Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/188

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’admission des missionnaires français et réclamait une indemnité de 20,000 dollars.

Un double courant se dessinait. D’une part, l’influence américaine personnifiée par les missionnaires, maîtres du pouvoir, législateurs, conseillers, ministres de la royauté ; de l’autre, l’Angleterre dont le nom rappelait les services rendus, le souvenir de Vancouver, l’idée vague d’une protection éventuelle, d’un patronage lointain. Par la force des choses, l’Angleterre, que la prise de possession de Tahiti et des Marquises devait éloigner de la France, quelques années plus tard, dans les affaires océaniennes, s’en rapprochait alors en ce qui concernait Havaï, non qu’elle éprouvât une vive sympathie pour la mission catholique, mais parce que cette mission catholique, soutenue par la France, devait, dans une certaine mesure, contrecarrer les progrès des missionnaires américains dont la prééminence politique l’inquiétait. Ainsi que la France et les États-Unis, elle voyait, dans ce petit royaume, la clé de l’Océan-Pacifique du nord, l’escale obligée de la grande route maritime entre l’Amérique et l’Asie. De ce rapprochement devait naître le traité de 1843, la reconnaissance de l’autonomie havaïenne par la France et l’Angleterre, l’engagement pris par elles-de n’y pas porter atteinte.

Invités à y adhérer, les États-Unis, flairant un piège, s’y refusèrent, alléguant que leur politique extérieure traditionnelle n’admettait pas des engagemens relatifs à des tiers et qui pouvaient, à une époque indéterminée, les obliger à une intervention. Ils accompagnaient d’ailleurs ce refus des assurances les plus formelles de respecter l’indépendance de l’Archipel et de leur vif désir de coopérer, avec la France et l’Angleterre, à l’œuvre de civilisation entreprise.

Cinq ans plus tard, l’heureuse issue de la guerre du Mexique-livrait aux États-Unis le littoral du Pacifique ; la découverte de l’or peuplait la Californie, San-Francisco remplaçait le village de Yerba-Buena, et la naissante métropole du Far-West devenait l’axe autour duquel allait désormais graviter le royaume havaïen. Du même coup et dès le même jour surgissait l’idée de son annexion à la grande république. Les missionnaires américains voyaient, dans cette annexion, le couronnement de leur œuvre, la conséquence logique de leurs efforts ; pour les résidens américains, elle représentait, par l’impulsion donnée au commerce, par la hausse des terrains dont ils étaient détenteurs, la fortune assurée, pour les uns et les autres, une conquête pacifique, un nouvel État ajouté à tant d’autres que la fortune, amie de la jeunesse et de l’audace, offrait à leur patrie.

Pour effectuer cette annexion, l’heure était favorable. Point