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formée de terrains d’alluvion, arrosés par de nombreux cours d’eau, sous un ciel tempéré. Ces riches contrées sont appelées à occuper une des premières places dans la vie économique du globe. « Le caractère de la population, dit l’excellent docteur Barth, est parfaitement en rapport avec cette aisance. Les indigènes sont doués d’un tempérament modéré qui leur permet de jouir gaîment de la vie ; ils éprouvent une inclination très doute pour les femmes, et se plaisent au chant et à la danse ; le tout sans excès. Chacun trouve son plus grand bonheur dans une jolie compagne, et, quand les circonstances le lui permettent, il en adjoint une plus jeune à la première, ou bien donne à celle-ci son congé. »

Nonobstant, Monteil eut à souffrir de quelques inconvéniens dans cet heureux pays. Du plus cruel de tous, d’abord, des moustiques : il lui arriva de passer plusieurs nuits de suite sans pouvoir fermer l’œil. Puis de la propension des noirs à la rapine : le linge, les objets de première nécessité disparaissaient sous la tente comme par enchantement. Parfois, le voleur revenait offrir en souriant l’objet dérobé, et ne consentait à le rendre que contre une indemnité. Enfin, il fallut au voyageur des prodiges de diplomatie pour défendre sa pacotille contre les princes, très rapaces sur le chapitre des cadeaux. Ceux mêmes dont il ne touchait pas le territoire lui faisaient tenir ce message : « Tu passes là-bas, c’est bien : mais tu aurais pu passer chez moi, il faut me donner quelque chose. » Ces Soudanais progresseront, ils ont deviné le syndicat.

Je rapporterai un exemple des procédés employés par notre explorateur pour faire sa situation chez les Haoussa. Le premier roi qu’il devait visiter était celui d’Argoungou, chef d’un petit État riverain du Niger. C’est un potentat d’humeur fort méchante et difficilement accessible. Monteil vint camper aux portes de la ville ; il fit demander une audience et l’hospitalité d’usage. Le roi refusa. Le lendemain, malgré les supplications de son interprète qui le conjurait de ne pas courir à sa perte, ou de prendre au moins avec lui tout ce qu’il avait d’hommes et de fusils, l’officier traversa seul, sa canne à la main, cette ville de vingt mille âmes, et alla frapper à la porte du palais. Nouveau refus. Le jour d’après, même promenade, avec une insistance plus vive au palais et le verbe plus haut. Cette fois, le monarque fut troublé. Il pensa que cet audacieux devait avoir par devers lui un bien puissant fétiche, pour oser de pareils coups. Le fétiche, Monteil ne l’avait pas, mais il entendait le créer. Il voulait persuader à ces gens qu’un formidable fantôme, la France, marchait derrière lui et donnait toute sécurité à chacun de ses pas. Le fantôme une fois créé, tout serait facile au voyageur et à ceux qui le suivraient. Pour