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femme qui ne va jamais à la messe vînt à faillir aussi ; ce serait une revanche pour les vieilles croyances, une réponse victorieuse à ceux qui les dénigrent.

Je me résolus cependant à patienter ; comme lui, j’étais disposé à croire qu’il n’y avait pas péril en la demeure.

Dès le sur lendemain, je changeai d’avis. Ce jour-là, Monique n’avait plus l’air mauvais ni provocant ; mais l’éclat de son regard et l’animation de son teint me firent penser qu’il lui était arrivé quelque chose d’heureux. Elle chercha d’abord à me donner le change en me racontant que, le matin, elle était allée voir son vieux professeur de peinture, celui qui l’appelait son petit mouton, et qu’elle avait passé auprès de lui des momens délicieux, qu’il lui avait montré ses derniers paysages, toutes ses études. Elle en parlait avec un feu, une éloquence, un enthousiasme qui me parurent suspects ; ce n’était pas là ce qui la rendait si heureuse. Au surplus, j’avais remarqué en arrivant que le fauteuil où je m’asseyais d’ordinaire n’était pas à sa place accoutumée, et je tenais pour certain que quelqu’un s’y était assis avant moi.

Je l’interrompis au milieu de son discours.

— Vous avez reçu tout à l’heure la visite de M. de Triguères, lui dis-je brusquement.

Elle fut frappée de ma clairvoyance. Elle était restée debout, elle vint s’asseoir sur un tabouret, tout près de moi, et me répondit :

— Vous avez deviné.

— Est-ce la première visite qu’il vous ait faite ?

— Non ; mais, l’autre fois, je l’avais reçu au rez-de-chaussée, dans le salon commun de la pension, et nous n’étions pas seuls.

— Tandis qu’aujourd’hui...

— Eh ! oui, monsieur, nous étions seuls. Ma femme de chambre l’avait fait entrer sans crier gare.

— Cette soubrette avait peut-être des ordres.

— Ah ! s’écria-t-elle, le précepteur qui m’interroge est un vrai juge d’instruction.

Je ne me laissai point déconcerter par son ironie ; j’étais résolu à risquer le tout pour le tout.

— Répondez au juge d’instruction, repris-je. Que vous a dit M. de Triguères ?

— Puisque vous voulez le savoir, il m’a fait une déclaration brûlante. Il m’a répété avec plus d’éloquence ce qu’il m’avait dit naguère, chez sa sœur, à la fin d’un bal. Il m’a assuré qu’il m’adorait, que dans son voyage en Égypte il n’avait pu penser qu’à moi, que la nouvelle de mon mariage avait été pour lui un coup de poignard, qu’il s’était juré pourtant de ne plus me revoir, qu’il n’avait pas eu la force de tenir son serment, que c’était pour