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santant sur ses Iravers, Monique semblait disposée à ne s’offusquer de rien, à prendre les choses par le bon bout. Elle ne voyait plus sa belle mère, elle avait oublié ses chagrins, ses rancœurs, <H elle était heureuse de se retrouver dans ce grand Paris, où elle avait passé la meilleure partie de sa première jeunesse.

Elle se montrait fort gracieuse pour M lle6 CIeydol, qui lui offraient d’intéressans sujets d’étude. C’étaient deux blondes un peu fades, irès réservées, très timides, qui s’observaient beaucoup en parlant et récitaient des leçons apprises. Gomme leur langage, leurs manières étaient correctes, irréprochables. Il semblait que leur innocence non-seulement ne soupçonnât pas le mal, mais s’appliquât à ne le pas comprendre, et pourtant à certains sourires, à certains regards qu’elles échangeaient parfois entre elles, on était lente de croire que le diable n’y perdait rien. Leur institutrice, qui ne manquait pas de mérite, leur avait enseigné avec les arts d’agrément celui de paraître ce qu’elles n’étaient pas et de cacher ce qu’elles étaient, et peut-être lui cachaient-elles à elle-même beaucoup de choses. Ayant dressé la liste de toutes les vérités que les jeunes filles doivent ignorer, les conversations la mettaient à la gêne, elle tremblait qu’on ne laissât échapper un mot qui aurait pu révéler à ses élèves les mystères du monde et de la vie. Monique étonnait ces poupées par la liberté, par l’indomptable franchise de son naturel. Quand on ne connaît que le bois de Boulogne, on éprouve un étonnement de ce genre en parcourant pour la première fois une forêt des Vosges ou une sapinière du Jura. Il est vrai qu’il se trouve de temps à autre des loups dans les sapinières, qu’on y fait de loin en loin de fâcheuses rencontres. Je m’en retournai chez moi en méditant sur les avantages respectifs des deux méthodes d’éducation, et je conclus qu’il y a partout du bon et du mauvais.

J’étais si charmé de ce que j’avais vu qu’avant de me coucher, j’écrivis à M. Monfrin. Je l’assurai que tout allait bien, que sa femme était dans les meilleures dispositions, qu’il avait été heureusement inspiré en l’envoyant à Paris. Ma lettre se terminait ainsi :

« Toutefois, puisque vous avez bien voulu m’autoriser à me mêler de vos affaires domestiques, souffrez que je vous engage à prendre avant peu une mesure décisive. Certaines paroles ne s’oublient pas, et n’eussent-elles pas été prononcées, il est bien difficile de faire vivre sous le même toit deux femmes qui s’aiment peu. Quoi qu’il vous en coûte, il faudra vous arranger pour qu’à l’avenir Monique soit vraiment chez elle. Dans certains cas, la médecine est impuissante, il faut recourir à la chirurgie. »

Quelques jours plus tard, je reçus un mot de Monique, qui