Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avait mieux doué ; il a rubrique d’une manière significative son ouvrage, jadis fort estimé : Tractatus de abundantia exemplorum in sermonibus. Citons encore la « Somme » du moraliste Guillaume Peraut et le Speculum exemplorum de Nicolas de Hanapes, le dernier patriarche latin qui ait résidé en Orient. Quant aux anonymes, ils sont, à vrai dire, innombrables ; quelques-uns, qui ne rapportent guère que des aventures particulières et locales, à l’usage des prédicateurs d’une certaine province, offrent aujourd’hui le plus vil intérêt ; on a fait connaître récemment un recueil tourangeau, un recueil irlandais ; la plupart attendent encore d’être utilisés.

L’exemple proprement dit est une anecdote. Autre chose est le conte moralisé, anecdote sertie dans une morale subtilement déduite et dans un commentaire tropologique. Les clercs ignorans préféraient souvent, on le croira volontiers, les répertoires de contes moralises aux répertoires d’exemples, puisque ceux-ci leur laissaient à faire un effort d’interprétation dont ceux-là les dispensaient. Eudes de Cheriton, cistercien anglais du XIIIe siècle ; Robert Holkot, professeur de théologie à Oxford, et le dominicain provençal, Jean Gobi, l’auteur de la fameuse Scala cœli, au XIVe, ont trouvé dans le clergé séculier et régulier une foule de cliens, sans cesse renouvelée, pour leurs dictionnaires alphabétiques ou méthodiques de moralités fabuleuses. La Scala cœli fut jusqu’à la Renaissance l’un des livres de chevet des prédicateurs ; après les Gesta Romanorum, autre recueil d’histoires moralisées, traduit de bonne heure en langue vulgaire, et populaire surtout dans le monde laïque, ce fut un des plus gros succès de librairie du moyen âge. — Mais il y avait des clercs ambitieux qui, prétendant à une réputation de profondeur ou de mysticité, ne se contentaient point d’Eudes de Cheriton, d’Holkotou de Gobi. Pour ces trois auteurs, en effet, le conte est le principal, l’allégorie est l’accessoire ; c’est le contraire dans d’autres compilations qui paraissent avoir été presque aussi recherchées : l’exemplum y est réduit au strict nécessaire, la « moralité » s’allonge indéfiniment : tel se présente, entre autres, l’ouvrage de Jean de Saint-Géminien, dominicain toscan, De exemplis et similitudinibus rerum ; c’est une encyclopédie parénétique : universum prœdicabile ; l’auteur y traite en dix livres, à l’usage de ses confrères, de toutes les « moralités » qui se peuvent extraire de la comparaison des choses spirituelles avec celles de la nature physique. Chose notable, Jean de Saint-Géminien eut, comme Jean Gobi, l’honneur d’être imprimé en plusieurs éditions incunables.

Pour fabriquer suivant les règles l’assaisonnement d’un sermon, des « exemples » même « moralises » ne suffisaient pas ; il fallait y joindre le sel des textes bibliques, patristiques et profanes.