Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/899

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les confier au papier ; mais une fois son choix fait, procédant à l’exécution avec une franchise et une hardiesse incomparables, sans tâtonnemens, sans repentirs, avec cette volonté et cette énergie qui soutiennent et animent ses figures jusque dans leurs moindres détails.

La première fresque montre Jéhovah traversant l’espace par un mouvement d’une originalité et d’une puissance extraordinaires, les bras levés, la tête rejetée, le manteau flottant derrière lui ; apparition aussi soudaine et imprévue que grandiose. C’est la paraphrase du fameux verset : « Dieu dit que la lumière soit, et la lumière fut. »

À voir le jet puissant et l’extrême liberté de cette figure, on dirait que Michel-Ange, si longtemps fatigué par la pratique pénible et lente de la sculpture, a éprouvé comme une sorte de volupté en échangeant le ciseau contre le pinceau et en devenant le maître de créer des dieux ou des mortels à l’aide d’un peu de couleur et de quelques coups de brosse.

Dans la Création des mondes, Dieu apparaît soudainement : — un des secrets de l’art de Michel-Ange consiste à nous montrer ses acteurs en pleine action, sans rien qui les annonce ou les lasse pressentir. Sa tête, puissante, aux sourcils épais, au front vaste, ombragé d’une épaisse chevelure, procède en droite ligne de celle du Jupiter olympien. Entouré d’anges, mais soutenu dans les airs par sa propre force (les phénomènes les plus surnaturels deviennent vraisemblables sous le pinceau de Michel-Ange, tant il y met de conviction), Jéhovah étend les bras par un geste d’une souveraine grandeur : soudain le globe du soleil apparaît aux yeux éblouis des anges. Plus loin, dans la même fresque, on aperçoit l’Éternel traversant l’air comme une flèche, le dos tourné au spectateur, — une merveille comme raccourci, — les pieds nus, les cheveux flottans, les draperies agitées par son vol. Il lève légèrement la main et le monde végétal prend naissance.

Dans le troisième compartiment. Dieu sépare la terre des eaux. Si dans la fresque précédente, il s’éloignait du spectateur ; ici, il vient droit sur lui : c’est un de ces contrastes dramatiques si chers à Michel-Ange. Le vent a gonflé ses draperies comme une voile, et l’observation d’un phénomène physique se mêle ici aux impressions les plus élevées de l’ordre psychologique.

Avec la Création de l’homme nous prenons pied et quittons le domaine du surnaturel pour celui de la réalité. Cette scène est d’une simplicité et d’une beauté devant lesquelles la critique a épuisé ses formules. Jéhovah, emportant avec lui, dans son vol impétueux, un essaim d’anges, se dirige vers la terre, étend l’index