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sont mauvais, des peintres plus ou moins réalistes, mais revendiqués comme tels par la secte. Sévère pour Paul Baudry et Cabanel, injurieux à l’égard de Flandrin, il passe, avec d’autres artistes, du dénigrement à l’équité, exprimée avec plus ou moins de bonne grâce, mais, enfin, accordée. Ainsi, pour G. Boulanger, et pour MM. Bouguereau, Gérôme et Gustave Moreau, qu’il réunissait afin de leur témoigner en bloc un mépris mêlé d’horreur, mais dont il arrive peu à peu à reconnaître le talent.

Ce n’est jamais de façon très nette ou très détaillée, il y met de l’ironie et de la mauvaise grâce, mais enfin l’aveu lui échappe. M. Gérôme, surtout, exerce sur lui un effet singulier d’aversion et d’attrait. C’est un prix de Rome, il peint des sujets religieux, il ose même représenter une antiquité familière et spirituelle ; autant de griefs aux yeux de Thoré, mais la force du talent l’emporte, et, après toutes sortes de négations variées, il en vient à dire : « M. Gérôme est pourtant un peintre qui restera. » Devant le Sphinx de M. Gustave Moreau, classé à cette heure parmi les toiles maîtresses de l’école contemporaine, il commence par plaisanter : « Je n’ai jamais vu de sphinx en vie ; mais celui-ci, qui est en carton, m’a attiré. » Le mot, si c’en est un, est facile, car il a été refait par Castagnary. Pourtant, Thoré s’arrête ; il regarde, en bougonnant contre la mythologie, mais il regarde longuement, disserte avec détail et conclut : « Je reconnais volontiers qu’il y a beaucoup de nouveauté et d’originalité dans l’interprétation et la mise en scène de la vieille légende. » Trois ou quatre ans après, il apprend à ses lecteurs, par acquit de conscience, et très vite, comme avec la crainte d’être trop cru, qu’il y a au Salon « deux superbes compositions mystiques par M. G. Moreau, l’auteur du Sphinx ; » mais il ajoute : « La nature n’est de rien pour ces élucubrations chimériques. J’aime mieux une course de chevaux par Géricault ou les Demoiselles de la Seine par Courbet. » Voilà qui s’appelle une comparaison attendue et concluante.

S’il traite ainsi les artistes auxquels, par nécessité de programme, il doit témoigner une sévérité particulière, ceux qui sont moins engagés dans les batailles d’école lui laissent l’esprit plus libre, et il y a toujours profit à le consulter sur eux. Pour lui, non-seulement Meissonier est « un maître, » dans toute la force d’un mot dont on abuse, mais il le met « hors ligne. » Il méconnaît, par esprit d’opposition politique, la grandeur de 1814, il fait au peintre la critique souvent renouvelée de a déguiser » sous des costumes des deux derniers siècles « de petits bonshommes qui lisent, qui boivent, qui jouent aux cartes ou qui font de la musique, » mais il reconnaît que Meissonier « sait donner à ses petits personnages