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de cette poésie lubrique, habile à jongler avec les équivoques luxurieuses, à rehausser les voluptueuses images de la gaze indiscrète de vocables transparens comme des maillots couleur de chair ? Hélas ! je reconnais plus d’un chrétien, baptisé au nom du Christ, parmi ces poètes de l’indécence qui inventent dans l’impur et, comme on l’a dit, idéalisent dans l’obscène[1]. Si c’était là tout ce qui nous reste de poésie, nous n’aurions, avec Platon, qu’à bannir les poètes, — sans les couronner de fleurs ; et si c’était là vraiment l’esprit juif, je demanderais qu’on relevât le ghetto.

Mais y a-t-il, chez nous, une poésie qui ait quelque chose d’israélite, ce n’est pas celle de M. Catulle Mendès ; c’est plutôt celle de l’auteur des Ouvriers, de M. Manuel, le petit-fils du lévite, modeste et discrète poésie, intime, domestique, un peu courte peut-être, mais chaste, mais saine. La lyre aux cordes lydiennes et les cymbales phrygiennes n’ont rien de commun avec le psaltérion des filles de Juda et la harpe du roi prophète. Les Juifs qui nous chantent la volupté sur le mode ionien sont les élèves des Gentils. Allez voir, là-bas, les juiveries où la loi et les rabbins ont gardé l’autorité ; on y fait encore des vers en hébreu et en jargon ; je vous assure que la mère les laisserait chanter devant sa fille. Des prophètes à Jehuda Halévy et du moyen âge à nos jours, les Hebraïca et les Judaïca constituent une littérature immense ; je ne crois pas que, dans aucune, les erotica tiennent moins de place. Shir Hashirim, le Cantique des cantiques, cette brûlante églogue de l’amour oriental, chaste jusqu’en sa crudité (comparez Daphnis et Chloé), Shir Hashirim est isolé dans la poésie hébraïque, et la Synagogue, qui ainsi que l’Église n’y voit qu’une allégorie, n’en permettait la lecture qu’aux hommes de trente ans. Les peuples qui pratiquent la Bible et qui se sont le plus imprégnés de l’esprit de Juda sont les moins indulgens aux jeux délétères de la pornographie. Je ne sais rien de plus opposé à l’esprit d’Israël, esprit de pureté et de sainteté domestique, qui a toujours traité les rapports des sexes en chose sérieuse, y apportant une sorte de pédantisme médical. Les Juifs qui en font un objet de divertissement spirituel, ou de raffinement sensuel, sont infidèles aux traditions de leur race ; ce sont, comme disent leurs coreligionnaires d’Orient, des apicoresim, des épicuriens, des mécréans qui n’allument plus les flambeaux de Chanouka. On ne badinait pas avec l’adultère dans les écoles de Judée. Nous savons quel châtiment lui réservait la loi ; et, cette peine, un vieux Juif parisien avait naguère le mauvais goût d’en demander le rétablissement, insistant

  1. Le mot est de M. James Darmesteter.