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« Quelle horreur de flamme et de fer
N’est éparse, comme en enfer,
Aux plus beaux lieux de cet empire ?
Et les moins travaillés des injures du sort
Peuvent-ils pas justement dire
Qu’un homme dans la tombe est un navire au port ?


« Soumettons-nous donc à la nécessité. S’il nous est dur de survivre à ceux que nous avons aimés, vivons du moins, comme hommes, pour nos concitoyens. Mais, comme magistrat, vivons pour le prince et pour la justice, car


« La Justice, le glaive en main,
Est un pouvoir autre qu’humain
Contre les révoltes civiles.
Elle seule fait l’ordre, et les glaives des rois
N’ont que des pompes inutiles,
S’ils ne sont appuyés de la force des lois. »


Si j’ai choisi cette Consolation parmi beaucoup d’autres pièces, la raison n’en est pas que, Malherbe ayant mis trois ans à l’écrire, son président était remarié quand il put la lire. Ce n’est pas non plus qu’il en manque d’aussi sévèrement composées. Mais je n’en connais guère où l’on voie mieux ce que la composition de Malherbe a de proprement oratoire, en tant qu’appropriée à toutes les intelligences. Je n’y trouve même plus de dieux ignorés, ni de ces légendes empruntées des Argonautiques, ou de l’Alexandra comme autrefois dans Ronsard, mais, pour tous souvenirs classiques, ceux que tout le monde a gardés du collège, qui n’étonneront donc personne, et qui feront plaisir à tout le monde. Point d’idée qui ne soit également commune, à la portée des ignorans comme des beaux esprits, facile à concevoir, plus facile à vérifier, générale ou universelle. Et, enfin, idées générales ou souvenirs classiques, pour lier ensemble tout cela, des « passages, » comme on disait alors, des « transitions, » comme nous disons aujourd’hui, qu’un enfant même au besoin trouverait.

Nous avons plus d’un témoignage de l’effet que produisit cette manière nouvelle d’écrire. Elle paraissait surtout aisée à imiter, et encore plus à contrefaire. Godeau, dans son Discours sur les œuvres de M. de Malherbe, en a bien marqué le caractère logique. « Le discours, dit-il, ou l’oraison, par laquelle l’esprit fait entendre ce qu’il a conçu, est de deux sortes, l’une libre, étendue et comme négligée ; l’autre, contrainte sous de certaines lois, renfermée dans quelques bornes, et parée avec un soin particulier… Les maîtres de l’art donnent plusieurs règles pour reconnaître