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mon hôtesse, de la plupart des granges voisines, où les enfans pullulent et essaiment de même. — Comme ce ruisselet qui sera la Loire, le grand fleuve d’apostolat et de dévoûment a ses principales sources sur ces plateaux, d’où il se répand sur le monde. Sources ténébreuses, misérables ; ici, à regarder les choses sans faux idéalisme, le fleuve sacré sort de cette barrique de vin d’Aubenas. Une opération mystérieuse va l’épurer, faire des forces nobles avec ces résultantes d’instincts brutaux ; travail perpétuel de l’esprit qui agit dans la nature et dans l’histoire. Les demi-savans le voient mal, faute de réflexion sur la chimie de l’univers ; leur vue s’arrête et se dégoûte aux élémens imparfaits, souvent ignobles, que la nature fait concourir à ses hautes transmutations. Les mœurs et les idées arriérées de la montagne sont un objet de scandale pour le commis-voyageur et le maître d’école qui portent là-haut les articles modernes. J’entendis un jour les propos indignés que tenaient deux de ces compagnons, dans une auberge où nous déjeunions côte à côte : « Tant qu’on n’aura pas républicanisé ce pays, il en restera au XVe siècle, » disait le plus animé des deux. — Sans doute, le fleuve qui descend du Gerbier roulera quelques parties de fanatisme, d’obscurantisme ; ses eaux, pauvres gouttes humaines, ne seront pas toujours limpides et bienfaisantes. La Loire aussi déborde et fait du mal ; ses riverains la maudissent alors. Demandez-leur s’ils voudraient supprimer la distributrice de vie, l’âme de leurs champs.

Ces villageois du Val de Loire, annexés administrativement au département de l’Ardèche, se rattachent par leurs affinités naturelles et historiques aux populations du Gévaudan et du Velay. Le Vivarais commence en réalité plus bas, sur les pentes des Boutières et du Coiron, dans la région inclinée vers le sud qui descend du châtaignier au mûrier. Là se trouvent ces foyers volcaniques dont parle Soulavie, au propre et au figuré ; là s’est formée une race moins lourde, moins exclusive que celle de la haute montagne, plus remuante, plus affinée à mesure qu’elle se rapproche du Rhône et des vives flambées de soleil, plus profondément travaillée par les vicissitudes de l’histoire. Les guerres de religion furent le fait capital de son existence, celui dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. Nulle part en France elles n’eurent le caractère d’âpreté et de durée qu’on leur vit en Vivarais ; la plus forte passion qui puisse agiter les âmes se greffait là sur les rivalités naturelles des clans montagnards, sur l’esprit d’indépendance qui les anime. On sait que les convulsions de la réforme se prolongèrent dans les Cévennes jusqu’à la fin du règne de Louis XIV. Les dragonnades et le supplice des derniers camisards ont clôturé l’ère héroïque ; mais, dans les cœurs mal pacifiés, les divisions et les rancunes qui datent