Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/543

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

capitaines de vaisseau et appelés aussitôt à un commandement à la mer[1]. Le comte Lab… demanda et obtint la croix de Saint-Louis et le grade de major pour avoir abouché le comte Lynch avec les frères de Polignac, en décembre 1813, et pour avoir, à la même époque, comploté d’assassiner Napoléon.

Et cependant, l’émigration, l’armée des princes, le siège de Thionville, la Vendée, Quiberon, la chouannerie, les conspirations, c’étaient des services que Louis XVIII n’avait pas le droit de méconnaître. Seul le monarque devait-il profiter de la restauration de la monarchie ? Alors qu’il prenait possession du trône, alors que les princes de sa famille recouvraient leur rang et leur liste civile, pouvait-il ne point donner quelque dédommagement et quelques récompenses aux émigrés ruinés par la Révolution, qui avaient souffert et combattu pour lui, aux fils et aux frères des gentilshommes morts pour la cause royale sur les champs de bataille et sur les échafauds ?


IV

Les nécessités budgétaires qui avaient fait réduire l’effectif de l’armée contraignirent Louis XVIII à maintenir les droits réunis. Pendant la guerre, les manifestes royalistes en avaient solennellement promis la suppression, et quand, au mois d’avril, le comte d’Artois avait arrêté que, jusqu’à nouvel ordre, on continuerait à les percevoir, des troubles s’étaient produits dans plusieurs départemens. La proclamation du roi du 10 mai, confirmant l’ordonnance du comte d’Artois du 30 avril, perturba toute la France. Pendant six mois, il y eut des mouvemens séditieux en Gascogne comme en Normandie, en Vendée comme en Provence, en Touraine comme en Alsace. Dans les villages du Lot et du Lot-et-Garonne, où certains maires n’osèrent même pas publier l’ordonnance royale, on sonnait le tocsin à l’arrivée des préposés, et la foule s’ameutait contre eux. À Rennes, le peuple pilla la maison du receveur. À Cahors, l’octroi fut incendié. À Chalon-sur-Saône, la population fit un feu de joie avec les archives de la régie. Devant

  1. Dans la marine surtout, il y eut des nominations déplorables, tandis qu’on mettait en réforme ou à la demi-solde 500 officiers éprouvés. Decrès parle du capitaine de vaisseau de V.., qui, en décembre 1814, ayant fait rencontre d’une frégate anglaise, « compromit la dignité nationale par sa conduite misérable. » — « Ce n’est pas étonnant, conclut-il, cet officier ayant quitté la mer depuis vingt-six ans n’a plus l’habitude du commandement. » — On sait qu’en 1816 un autre émigré, D. de C, perdit corps et biens la frégate la Méduse, et fait unique dans l’histoire de la marine française, abandonna l’un des premiers le bâtiment qu’il avait l’honneur de commander.