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affaires ! Nous sommes loin du temps où, le chiffre annuel des pourvois formés devant le conseil d’État du premier empire n’excédant guère l’humble chiffre de deux cents, M. Locré considérait l’attribut juridictionnel comme une des fonctions secondaires et accessoires de ce grand corps[1]. La vérité est que l’histoire du conseil, depuis l’an VIII, est, pour une part notable, l’histoire du progrès incessant de cet attribut contentieux. Et je ne parle, bien entendu, ni des perfectionnemens de la juridiction, ni du développement extraordinaire de la jurisprudence, mais seulement de la multitude croissante des dossiers. À cet égard, le Traité de M. Laferrière contient de précieux tableaux statistiques, qui nous permettent de suivre presque pas à pas cette étonnante progression[2]. Nous y voyons que, dès avant 1830, le nombre des pourvois avait plus que doublé. Sous la monarchie de juillet, il passe le chiffre de huit cents et aux premières années du second empire atteint le chiffre de mille. Il est aujourd’hui de deux mille environ. Cependant, l’organisation de la juridiction étant demeurée la même depuis 1852, il est aisé de concevoir qu’elle soit devenue très insuffisante. Il y a disproportion entre la tâche et l’instrument. On est envahi ; on est débordé ; c’est une marée montante ; les dossiers s’accumulent aux mains des rapporteurs. Chaque année, au 31 décembre, lègue à l’année suivante plus de trois mille requêtes à juger. J’admets qu’un tiers environ des affaires qui composent cet arriéré soit en cours normal d’instruction ; mais les deux autres tiers, c’est-à-dire deux mille requêtes au moins, peuvent être réputées en souffrance. Cependant, la section du contentieux siège presque tous les jours, et je ne crois point exagérer en avançant qu’elle fournit une somme de travail presque aussi considérable en une semaine que naguère la section de législation en une année[3].

Il y avait donc là une inégalité flagrante. D’un côté, l’on était réduit à se croiser les bras, de l’autre, on fléchissait sous une véritable surcharge. Dans ces conditions, un expédient s’offrait et semblait indiqué. Il consistait à utiliser la section de législation, en la faisant servir à l’œuvre juridictionnelle. La transformer en une seconde section du contentieux, voilà en deux mots le système du projet de loi que M. Fallières, alors garde des sceaux, déposait sur le bureau de la chambre dans la séance du 10 mars 1891. Et ce projet allait donner naissance à une série de propositions diverses,

  1. Dans sa brochure intitulée : Quelques vues sur le conseil d’État, 1831.
  2. Traité de la juridiction administrative, t. I, p. 254 et suiv.
  3. Il est juste d’observer que les rapporteurs de la section du contentieux sont bien plus nombreux. Elle ne compte pas moins de huit maîtres des requêtes et de quatorze auditeurs, alors que la section de législation n’a que trois maîtres des requêtes et quatre auditeurs.